Afghanistan, la « surprise » des Talibans

Cela était attendu mais pas si rapidement : les Talibans ont profité du retrait progressif des troupes étatsuniennes pour s’emparer de plusieurs capitales provinciales avant de crier victoire dans le palais présidentiel, vide de son président en fuite peu avant l’arrivée des insurgés.

 

Cette victoire fulgurante des Talibans provoqua des scènes de panique parmi la population de Kaboul qui craignait de vivre ou revivre les horreurs de l’Emirat islamique et dont, pour ceux ayant travaillé pour les forces occidentales et les organisations internationales, seule la fuite leur permettrait d’y échapper.

 

Que s’est-il passé ? Comment en est-on arrivé là ? Et que se passera-t-il après ? Pour l’instant, nous sommes encore à l’état de stupéfaction, non pas par l’issu qui était prévisible lorsque le président des Etats-Unis Joe Biden confirma la décision de son prédécesseur de retirer progressivement ses troupes, mais par la rapidité de l’effondrement de l’armée afghane pourtant considérée comme capable d’assurer ses missions de protection. Une analyse erronée lourde de conséquences.

 

De cette débâcle occidentale découle la question suivante : tout ça pour ça ?

 

L’Afghanistan, la division de l’intérieur et de l’extérieur

 

Pour venir directement aux faits, je ne vais pas décrire toutes les guerres d’Afghanistan car ce n’est pas le thème de cet article. Je vais me contenter de raconter brièvement ce qui s’est passé après le retrait des troupes soviétiques.

 

Ce retrait sonna la victoire des différentes factions qui s’opposaient à l’invasion de l’Union soviétique, intervenue officiellement pour soutenir le gouvernement communiste afghan face aux moudjahidines opposés aux réformes socialistes.

 

Que se passe-t-il une fois l’ennemi commun neutralisé ? Neutralisons le gouvernement en place et instaurons le nôtre. Ce principe fut bien accepté par les factions qui se repartirent les postes mais pas par tous. Hekmatyar, le dirigeant de la plus puissante faction islamiste, considéra que le nouvel Etat afghan ne répondait pas à ses exigences et décida de se retourner contre ses anciens partenaires en ordonnant des bombardements sur Kaboul. Ceci marqua le début de la seconde guerre.

 

Entre la coalition gouvernementale et les forces islamistes surgirent du Pakistan un nouveau belligérant : les Talibans, un groupe fondamentaliste ne cachant pas son désir d’instaurer un régime à l’image de ses fanatiques, basé sur leur conception de l’Islam. L’histoire a démontré à de multiples reprises que lorsque deux puissants camps s’affrontent, un troisième peut en profiter pour rafler la mise, et les Talibans ont montré l’exemple en s’emparant de Kaboul puis en proclamant l’Emirat islamique d’Afghanistan.

 

Ce régime aurait pu durer de nombreuses années si les Talibans n’avaient pas commis l’erreur d’accueillir Al Qaeda sur son territoire et laisser leur chef, Oussama Ben Laden, gagner en influence. Les attentats du 11 septembre ont montré que lorsque les Etats-Unis sont attaqués, l’Empire les Etats-Unis contre-attaquent !

 

Officiellement pour éliminer le terrorisme, les Etats-Unis formèrent une coalition avec l’autorisation du Conseil de Sécurité de l’ONU pour destituer les Talibans du pouvoir et instaurer la République islamique d’Afghanistan. En réponse, les Talibans ont promis qu’ils reviendront … et ils l’ont fait.

 

Les prémisses de la chute du gouvernement et de la débâcle étatsunienne

 

L’opération militaire contre le terrorisme a débuté en 2002 en commençant par chasser les Talibans, accusés de soutenir Al Qaeda et d’abriter ses partisans, puis d’y instaurer un gouvernement élu démocratiquement pour créer un Etat de droit basé sur le modèle occidental.

 

Ce plan nécessite deux approches importantes pour réussir : une militaire et une civile. Si l’une échoue, l’opération sera un échec, comme en Irak en 2003 où le volet civil ne fut pas planifié ni analysé concrètement.

 

L’approche militaire est la sécurisation des villes et des sites stratégiques pour endiguer l’avancée des insurgés et ainsi les mettre hors d’état de nuire jusqu’au règlement politique du conflit. Dans ce contexte, les forces étrangères servaient de soutien à l’armée afghane et formaient les soldats pour qu’ils assurent la sécurité du territoire une fois celles-ci rapatriées.

 

L’approche civile consiste à construire une société où le développement socio-économique empêcherait les terroristes de recruter parmi la population locale afin de détruire le groupe à long terme ou le convaincre de déposer les armes au profit d’une solution diplomatique.

 

Sur le papier, cette double approche était réalisable dès lors qu’elle est planifiée et suivie du début à la fin. Pourquoi ce plan a-t-il donc échouer ? Était-il correct ou comportait déjà en lui les causes de son échec ?

 

Les armes ne sont pas que des fusils, des chars et des avions. Elles comprennent aussi les outils de communication pour convaincre la population que l’objectif de l’intervention est de les libérer du joug Taliban pour ensuite bâtir une société libre et démocratique (et capitaliste au passage). Cependant, l’Afghanistan est un pays divisé en plusieurs ethnies et connaît une fracture entre le monde rural profondément conservateur et le monde urbain plus progressiste.

 

Selon beaucoup d’Afghans, les Etats-Unis sont des envahisseurs cherchant à détruire leur culture pour instaurer la leur. Pour eux, ils ne voyaient pas Oussama Ben Laden comme un terroriste mais comme un symbole de la résistance contre l’invasion occidentale. Les travers de la lutte contre le terrorisme qui permirent les enlèvements et la détention arbitraires de prétendus terroristes ainsi que les scandales sur les tortures n’ont fait qu’accroitre l’image négative des Etats-Unis auprès de la population afghane.

 

Quant au volet civil, cela nécessite un gouvernement représentatif de la population capable de répondre aux besoins de ses citoyens. Or, les gouvernements successifs furent accusés de corruption en détournant les aides accordées à la reconstruction au profit de l’élite politique. Il y a bien eu des constructions mais pas celles que les Afghans attendaient. Outre l’intégrité morale liée à la fonction se greffe aussi la question de la légitimité car les élections furent souvent qualifiées de frauduleuses.

 

Finalement, le gouvernement découle-t-il de la volonté des Afghans ou des Etats-Unis ? Ce n’est pas une question anodine pour distinguer le gouvernement légitime du pantin étranger.

 

Les Etats-Unis ont considéré que l’armée et la société afghanes seraient tenir sans eux. Ils se sont trompés en négligeant les maux qui gangrenaient l’Afghanistan. Et ce n’est pas la première fois qu’ils commirent cette erreur.

 

Kaboul-Saigon : même combat, même désastre ?

 

Au lendemain de la chute de Kaboul, le souvenir douloureux de Saigon s’est ravivé pour des militaires et des historiens, tant les ressemblances sont nombreuses sur le déroulement, la rapidité et les conséquences de la victoire de l’ennemi. Petit rappel des faits.

 

Après une vingtaine d’années de conflit au Vietnam, le président Richard Nixon annonça la vietnamisation du conflit. Autrement dit, les Etats-Unis s’en vont et laisseront les Vietnamiens conclure la paix ou s’entretuer.

 

Les Nord-Vietnamiens réussirent en quelques mois ce qu’ils n’ont pu faire en vingt ans : envahir leur voisin du Sud et conquérir la capitale Saigon qui sera rebaptisée Hô Chi Minh- Ville, du nom de leur figure de l’indépendance du Vietnam.

 

En analysant les deux conflits, des similitudes et des différences apparaissent.

 

Parlons d’abord des similitudes. Il s’agit de deux conflits portés sur une lutte de pouvoir entre des valeurs différentes (communisme contre capitalisme pour l’un, islam moyennement modéré contre islam fondamentaliste pour l’autre) dont les Etats-Unis se sont directement impliqués pour défendre le camp qui correspond au mieux à leurs objectifs bien que le gouvernement qu’ils défendaient était corrompu (les investissements étatsuniens étaient détournés par les élites dans les deux cas de figure).

 

Les armées sud-vietnamienne et afghane bénéficiaient d’équipements provenant des Etats-Unis et d’un soutien important de l’armée étatsunienne (opérations militaires, formation, renseignement, logistique) au risque de ne pas assurer elles-mêmes les opérations cruciales qui leur sont dévolus. Contrairement aux croyances, les Etats-Unis ne faisaient pas tout le travail, les deux armées citées savaient se battre mais pas seules.

 

Dans les deux situations, les Etats-Unis s’attendaient à l’impact de leur départ car ils partaient sans que le conflit ne soit réglé. Au mieux, un règlement pacifique se dégagera. Au pire, l’ennemi triomphera. Quelle que soit l’issue, les Etats-Unis ne seront plus là. En attendant, ce sont les civils qui paient les conséquences, que ce soient les répressions attendues des vainqueurs ou le désir de fuir à tout prix pour ne pas les subir. Regardez les images de panique des habitants de Saigon, vous comprendrez la détresse de ceux de Kaboul.

 

Parlons à présent des différences. A la Guerre du Vietnam s’opposaient deux républiques, le Nord et le Sud, qui revendiquèrent chacune la légitimité pour contrôlé la totalité du pays. En Afghanistan, le conflit se situait exclusivement à l’intérieur du pays où les Etats-Unis et l’armée afghane affrontaient un groupe terroriste, pas une armée étatique conventionnelle. Cela rend les opérations plus délicates car les terroristes se dissimulent parmi les civils et il n’est pas difficile de réaliser des erreurs durant les opérations de fouilles. Or, il n’y a rien de pire pour un soldat que de tuer un civil, leur réputation étant affectée et l’ennemi en profitera pour grossir ses rangs.

 

Vient aussi la question des objectifs. Au Vietnam, il ne fallait pas laisser le Nord envahir le Sud pour endiguer la propagation du communisme. En Afghanistan, la logique est identique si ce n’est que la nouvelle menace est le terrorisme islamique.

 

Enfin, le point de vue des Etats-Unis sur l’issue du conflit lors de leur retrait diffère. Au Vietnam, ils ont reconnu en interne qu’ils ne pouvaient le remporter et ont considéré qu’il était préférable de limiter la casse en partant et proposer une issue pacifique sans la garantie qu’elle soit respectée. Pour l’Afghanistan, la réponse fut étonnante : mission accomplie, le terrorisme a été endigué. Il est vrai que voir les Talibans, qui sont toujours considérés comme un groupe terroriste, s’emparer de Kaboul et proclamer le retour de l’Emirat islamique est une victoire … mais pas pour les Etats-Unis. Une manière bancale de dissimuler une défaite.

 

Les Talibans, au ban ou au banc de la communauté internationale ?

 

Une fois la surprise digérée vient la question de la reconnaissance des Talibans par les autres Etats.

 

Pour la Russie et la Chine, la question ne se pose pas : ils ont gagné donc ce sont eux les nouveaux maîtres du pays donc il faut les reconnaitre tout en les mettant en garde de ne pas faire n’importe quoi, surtout avec la Chine qui partage une frontière et dont toute ingérence dans sa province musulmane entrainerait une riposte militaire. Quant à la Russie, tant que les Talibans ne menacent pas leurs intérêts, ils ne connaitront pas le danger d’une intervention soviétique russe.

 

Pour les Etats-Unis et surtout l’Union européenne, la question est plus délicate. D’une part, ils défendent le principe d’un gouvernement élu démocratiquement par le peuple et non la prise de pouvoir par un groupe terroriste pour accorder leur reconnaissance. D’un autre côté, il n’y a plus de réelle opposition politique car le dernier président a fui aux Emirats Arabes Unis et nul ne sait si les Talibans sont sincères dans leurs discours d’apaisement. Par conséquent, la position officielle est de ne pas reconnaitre pour l’instant mais de dialoguer. La véritable question est si le pragmatisme triomphera ou non à moyen-terme.

 

Il est trop tôt pour déterminer l’avenir de l’Afghanistan, les Talibans n’étant encore qu’au début de la construction étatique. Leurs priorités sont l’instauration de leur pouvoir sur l’ensemble du territoire, la lutte contre la résistance dans les zones qu’ils ne contrôlent pas et la diplomatie pour obtenir la reconnaissance de la communauté internationale.

 

L’Union européenne se retrouve face à une nouvelle vague migratoire qui risque, une fois encore, de devoir affronter une nouvelle résurgence des mouvements d’extrême droite. Quant aux Etats-Unis, après leur défaite au Vietnam et le chaos laissé en Irak qui s’est propagé au Moyen-Orient, leur crédibilité est une fois encore entachée.

 

Que vont-ils en tirer ? Un film sur Rambo qui triomphe à lui seul des Talibans. Encore une manière de s’enrichir en dissimulant une défaite réelle par une victoire imaginaire. 

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