Gil et Jo en gilets jaunes

Ce qui n’était qu’un accessoire de sécurité est devenu le symbole du ras-le-bol général d’une partie de la population : le gilet fluorescent jaune. En France, en Belgique et depuis quelques jours aux Pays-Bas, les masses de citoyens arborant cet accoutrement pullulent avec un même message en unisson : non à la vie chère !

 

Et pourtant, ce qui n’était qu’un mouvement de contestation contre la hausse du prix des carburants s’est métamorphosé en combat contre des problématiques plus larges, allant du faible pouvoir d’achat par rapport à la hausse des taxes et des factures jusqu’à l’appel à la démission du pouvoir en place. Comment expliquer cet élargissement des revendications ?

 

Un mauvais timing décisionnel

 

Pour rappel, le point de départ est la décision d’augmenter le prix du diesel pour amorcer la transition écologique vers un comportement plus responsable et respectueux de la nature pour ensuite privilégier les moyens de transport plus propres. Mais annoncer une hausse des accises alors que la situation socio-économique des citoyens moyens se dégrade est tout sauf logique. Contrairement au tabac et à l’alcool qui sont des produits de seconde nécessité (au sens où il n’est pas vital d’en consommer régulièrement, au contraire), le carburant est indispensable pour des raisons familiales et professionnelles. Dire aux citoyens d’en consommer moins alors qu’ils n’ont pas le choix est absurde si les incitants ne sont pas présents.

 

En effet, il existe des moyens pour participer à la baisse de l’empreinte carbone : privilégier les véhicules non polluants et les transports en commun, aménager la circulation pour les cyclistes, élargir les bornes de rechargement pour les véhicules électriques, inciter voire obliger les entreprises les plus polluantes à diminuer leurs émissions de CO2 sans possibilité de contourner cette obligation par de manœuvres financières. Toutes des raisons pour justifier la transition.

 

Sans cela, non seulement l’Etat se met en porte à faux en risquant de provoquer des mouvements de manifestation mais surtout, les mesures pour l’environnement entraineront l’effet inverse ! Les citoyens sont d’accord d’y faire attention mais pas à n’importe quel prix. Du coup, annoncer une nouvelle taxe au nom de l’écologie ne donne pas l’envie de s’investir pour la protection de la nature. Et pourtant, économie et écologie sont antagonistes, certes, mais pas incompatibles (ne mentionnant pas les profiteurs qui font de l’écologie une pub marketing, ceux-là sont à oublier). Cela passe par une remise en question de notre mode de consommation dont certains ont déjà franchi le cap en prêtant davantage attention à ce qu’ils achètent mais aussi par l’investissement dans des produits locaux et moins polluants.

 

Ce que le citoyen demande est que le gouvernement prenne conscience de cette tendance en élargissant la réflexion pour la transition du modèle économique et ne pas seulement penser « économie » et « budget ». Ne pas comprendre ce message en poursuivant la logique du bâton et la carotte financières ne résoudra pas le mécontentement populaire.

 

La rue, la voix du peuple

 

C’est ce qui s’est malheureusement arrivé. Les mesures pour compenser la hausse du prix des carburants n’ont pas suivi. Elles n’ont pas été envisagées. Et ce qui devait arriver arriva : la population est exaspérée et a besoin de se faire entendre.

 

Cependant, ce ne seront pas les syndicats qui enclencheront la démarche car le moteur provient du niveau inférieur : c’est le citoyen lui-même. Pétition en ligne, appel au blocage sur les réseaux sociaux, marque de soutien. Les canaux traditionnels ne sont plus indispensables pour rassembler les foules, Internet est devenu le principal canal.

 

Arborer le gilet jaune n’est pas non plus anodin. Outil permettant d’augmenter sa visibilité, surtout dans l’obscurité, il incarne le symbole du sentiment du citoyen de ne plus être visible aux yeux de la classe politique, déconnectée de la réalité lorsqu’elle discute des nouvelles mesures économiques.

 

Contrairement aux dires de certains médias, le but n’est pas de déclencher une révolution mais de laisser la colère s’exprimer … pacifiquement.

 

Les casseurs cassent le message

 

Comme dans toute manifestation, il existe différents groupes avec leurs propres objectifs. Certains affichent leur présence pour renforcer le message véhiculé, d’autres se font les porte-parole de celui-ci à travers leur organisation et leur intervention dans les médias. Mais s’il existe bien une catégorie qui n’a rien à faire dans le cortège, c’est bien celle des casseurs.

 

Un casseur est défini comme un individu cherchant le moindre prétexte pour justifier le vandalisme et l’affrontement avec les forces de l’ordre. Les raisons peuvent être multiples : simple amusement, désir de destruction, radicalisation du manifestant, effet de foule, et bien d’autres tant que l’être humain est complexe.

 

Comme pour tout évènement, ce seront les extrêmes qui seront retenus. Les journalistes braqueront leur caméra sur ceux qui provoqueront le plus de dégâts. Un gâchis pour les vrais manifestants qui voient leur action ternie par un groupe non-représentatif de la manifestation. Pour les gilets jaunes, heureusement, l’amalgame standard du manifestant/casseur ne s’est pas déroulé car ni la police ni la classe politique n’ont assimilé les deux. Ils sont conscients du caractère pacifique de la contestation mais, quelque soit les points de vue de chacun, la réputation des gilets jaunes se retrouve ternie par la violence de certains. La page médiatique accordée au message est volée par les dégradations et le bilan humain des affrontements. Un pur gâchis…

 

Après le jaune, passage au vert ?

 

Et après ? Une fois cette manifestation terminée, que va-t-il se passer ? Nul ne le sait car le gouvernement seul peut décider des mesures à prendre. Va-t-elle faire preuve de compassion, ou de clairvoyance en reconnaissant les problèmes au quotidien du simple citoyen ? Va-t-elle poursuivre sa feuille de route comme s’il ne s’était rien passé, arguant que sa politique est juste ? Ou va-t-elle jouer la carte des casseurs en récupérant les débordements pour ne pas écouter les vrais manifestants ?

 

 

Une chose est sûre. Ce n’est pas Mai 68 mais les gilets jaunes ont déjà réussi un défi : laisser une marque indélébile dans l’histoire sociale de leur pays. Au fond, le gilet jaune a rempli sa fonction primaire. Rendre visible ceux qui le sont peu.