Trêve olympique, paix illusoire.

Ah, les Jeux olympiques. Ce moment de sport faisant rêver la planète entière avec les athlètes de haut-niveau se battant pour décrocher des médailles pour la fierté de leur pays, les cérémonies d’ouverture et de fermeture dignes d’une fête de Nouvel An avec des costumes de Carnaval. Du rêve à l’état pur … si nous excluons la face cachée des Jeux olympiques : affaires de dopage (dernièrement avec la Russie), attribution parfois frauduleuse de l’organisation, pot-de-vin, tensions géopolitiques et diplomatiques s’immisçant dans le sport avec des menaces de boycott à la clé. C’est cette dernière problématique qui nous intéresse car la magie olympique veut que, durant l’évènement, les conflits cessent entre pays. C’est ce qu’on appelle la trêve olympique.

 

Cette année, les Jeux d’hiver se déroulent à Pyeongchang, en Corée du Sud. Or, la péninsule coréenne est au centre de l’actualité internationale suite aux menaces de guerre nucléaire entre les Etats-Unis, adoptant une posture belliqueuse sous Donald Trump, et la Corée du Nord, affirmant détenir l’arme nucléaire et la capacité de l’employer. Et puis là, surprise : la tension semble diminuer. Equipe commune coréenne défilant sous une bannière blanche affichant la totalité du territoire (comme pour Chypre), visite de la sœur du dirigeant nord-coréen en Corée du Sud qui propose par la suite d’inviter le président sud-coréen en Corée du Nord pour négocier afin d’apaiser les tensions. On passe ainsi de l’apocalypse nucléaire à la détente.

 

Derrière cette initiative se cache pourtant une inquiétude sur la nature réelle de ce rapprochement. Bien que la cause visible semble noble car elle démontre une approche pacifique de régler un conflit n’étant officiellement pas toujours terminé malgré l’accord de paix de 1953, les Etats-Unis et l’opposition sud-coréenne y voient une manœuvre diplomatique nord-coréenne visant à s’approprier l’évènement olympique pour masquer ses essais nucléaires mais surtout pour écarter l’influence étasunienne pour mieux manipuler la Corée du Sud afin de la conquérir. Certes, ce dernier point semble exagérer car l’armée sud-coréenne reste supérieure à sa rivale du Nord mais la « coréanisation » du problème semble être une approche plus réaliste pour le régime militaire nordiste.

 

Trêve olympique faisant son effet ou énième récupération politique ? L’histoire nous montre que c’est souvent la deuxième tendance qui prime. La magie de la trêve s’est bel et bien dissipée depuis des lustres, tant son essence spirituelle s’est estompée, dénaturalisant ainsi son caractère sacré.

 

Tu ne tueras point pendant un temps déterminé

 

La trêve olympique est une disposition instaurée lors des Jeux olympiques antiques. Bien qu’elle soit d’origine religieuse car les Jeux rendaient hommage aux divinités grecques, elle permettait aussi de s’assurer que tous les athlètes puissent s’y rendre sans que leur voyage ne soit entravé par les conflits, d’où la décision des Cités-Etats de cesser les batailles durant les Jeux. Contrairement à ce que la Guerre de Péloponnèse nous fait croire, les guerres en Grèce furent très réglementées (emploi des armes, déroulement selon la météo, non-implication des civils), la trêve olympique fit partie de ce règlement. En soit, cela est compréhensible car n’oublions pas que le transport se faisait à cheval et par navire. Or, qui serait heureux de voyager en sachant qu’il risquerait de tomber en plein milieu d’une bataille rangée ou d’un combat naval ?

 

Aujourd’hui, cette disposition n’est plus nécessaire car les voyages se font essentiellement par avion où il est possible de dévier les lignes pour éviter les zones de conflit et, de facto, le même drame qu’a connu un avion de passager dans l’Est de l’Ukraine en 2014.

 

Si la trêve olympique fut réintroduite, c’est surtout pour des raisons idéologiques où le sport devait servir de vecteur de paix par la promotion des valeurs sportives. Sauf que Pierre de Coubertin fut trop idéaliste. La Realpolitik ne cesse jamais, or la guerre est une composante essentielle de celle-ci car, comme le dit Clausewitz, « la guerre n’est que le prolongement de la politique par d’autres moyens ». On ne peut donc invoquer les Jeux olympiques pour demander aux Etats de mettre au frigo leurs projets le temps de l’évènement, chaque jour étant précieux en raison de plusieurs facteurs influençant le succès des objectifs.

 

La preuve : la Turquie mène une politique visant à limiter l’influence des indépendantistes kurdes sur les territoires syrien et irakien libérés de l’Etat islamique par les milices kurdes. Pour ce faire, quoi de plus radical d’envoyer l’armée en Syrie contre les Kurdes avant qu’ils ne forment une opposition trop forte ? Pas très olympique comme comportement. Surtout que la guerre n’est pas une discipline olympique donc ce n’est pas pour la compétition que les soldats sont présents. La trêve olympique reste purement théorique, les Etats ne sont pas tenus de l’appliquer si les intérêts nationaux exigent de ne pas la respecter.

 

Fastes, paillettes et oubli

 

Les Jeux olympiques restent donc un moment de festivité permettant aux sociétés ayant obtenu les droits de diffusion de s’enrichir, au pays organisateur de montrer une meilleure image de son pays au risque de s’endetter et de recevoir en pleine figure un retour de bâton si le gouvernement trimbale des casseroles.

 

C’est aussi le moment pour oublier que tout va mal dans le monde. Oui, la guerre continue mais de grâce, laissez-nous souffler un peu. Au fond, et si la trêve olympique était un temps de répit médiatique pour laisser de côté la médiatisation des conflits et des problèmes ? Pendant un moment, nous faire croire que tout va bien ? Bien sûr, nous ne sommes pas dupes, nous savons que tous les problèmes ne se règleront pas du jour au lendemain et que nous retomberons dans la morosité une fois la compétition achevée mais avoir du spectacle, ça fait du bien.

 

Quant au processus coréen, laissons le temps faire son œuvre. Les Jeux nous font oublier les tensions entre les deux républiques coréennes mais il est important de déterminer si le rapprochement se réalisera à long-terme, s’il témoigne d’une véritable volonté de paix ou s’il ne s’agit que d’une manœuvre nord-coréenne pour poursuivre ses projets personnels. Bien que ces gestes soient attribués à la magie olympique, ceux qui les regardent d’un œil critique ont compris qu’il n’en est rien.

 

Pour rappel, les deux républiques furent fondées en 1945 lorsque, durant le processus de l’ONU visant à recréer la Corée avant sa domination japonaise mais fut cependant séparée en deux zones d’occupation, il fut envisagé de créer un gouvernement sous Singman Rhee à Séoul, en zone étasunienne. Or, les communistes, aussi bien dans la zone soviétique que du Sud, rejetèrent cette décision internationale et fondèrent leur république avec comme dirigeant Kim-Il Sung, le grand-père de l’actuel, Kim-Jong Un. Puis éclata la Guerre de Corée en 1950 qui se termina par le retour au statu quo en 1953. Depuis, c’est toujours la guerre froide où le Nord cherche à devenir une puissance nucléaire tandis que le Sud compte sur les Etats-Unis pour sa protection. Difficile donc de s’imaginer que ce conflit de plus de plus de 60 ans se règlera en quelques rencontres. Ce sera un processus qui prendra de nombreuses années.

 

Comme je vous le disais, la trêve ne s’applique pas à la Realpolitik. Tout est outil en politique. Les Jeux olympiques ne font pas exceptions tant qu’il s’agit pour un Etat organisateur de démontrer une meilleure facette de son pays mais aussi sa capacité à organiser de grands évènements au même rang que la Coupe du monde de football et l’Exposition universelle. Pour d’autres pays, il y a moyen de tirer quelques cartes dans leur main en profitant à leur tour de l’évènement, comme l’équipe commun coréenne et la visite d’un membre important du Nord.

 

La principale question est : l’esprit olympique restera-t-il après la fin des Jeux entre les deux Corées ? Espérons-le. Personne ne souhaiterait voir le lancer de missiles nucléaires s’inscrire comme nouvelle discipline olympique. A ce jeu-là, personne n’en sortira gagnant.