Au Carrefour de la technologie.

Encore un drame, encore une décision lourde de conséquences pour des milliers de personnes. Non, il ne s’agit pas d’un nouvel attentat bien que les dégâts soient aussi immenses. Il s’agit d’un nouveau plan de restructuration chez Carrefour.

 

D’abord prévu en France, celui-ci s’applique aussi en Belgique avec une suppression de plus de 1200 emplois et la fermeture de deux hypermarchés. La raison invoquée est le changement du mode de consommation où le temps des hypermarchés, ces grands magasins où nous pouvons trouver de tout, commence à s’éteindre de part l’arrivée de boutiques spécialisées mais surtout de la montée en puissance de la consommation.com.

 

Et oui, Internet a énormément changé le monde. L’isolement s’en retrouve encore plus atténué, l’effort physique aussi. Plus besoin de se déplacer dans un magasin pour réaliser ses courses, il est à présent possible de commander en ligne pour ensuite prendre sa commande auprès du magasin. Gain de temps pour le client, gain économique pour l’employeur qui peut réduire le nombre de magasins pour privilégier les dépôts, c’est ce qui se passera à long terme.

 

En revanche, l’employé restera celui qui payera toujours cette évolution car plus les employeurs trouvent des moyens de le remplacer, plus la raison principale de le garder s’estompera. Remplacer par des machines puis par des robots et des drones, modifier le mode de distribution pour un modèle moins demandeur de personnel, nous voici très loin du rêve du plein emploi. C’est même un paradoxe où les gouvernements tentent de convaincre les entreprises d’embaucher alors que celles-ci disposent de moyens pour remplacer les travailleurs.

 

La mécanisation, fini le temps des Hommes ?

 

Cela me rappelle une conversation entre un inventeur de la Grèce antique et un invité. Le second demande au premier s’il est un jour possible que ses inventions puissent remplacer l’activité humaine. L’inventeur lui répondit que ce n’est pas nécessaire tant qu’ils auront suffisamment d’esclaves pour leurs travaux.

 

Cette conversation est précurseur de la mentalité moderne. Lorsque l’économie commença à se libéraliser et à échapper au contrôle des souverains et de l’Etat, cela impacta la vision du coût/bénéfice. Les abolitions de l’esclavage et du servage nécessitèrent un nouveau mode d’exploitation traduit par le prolétariat suppléé puis remplacé par la mécanisation. Les machines libèrent les employeurs de plusieurs contraintes : les salaires, les grèves, les syndicats, les revendications, le risque de départ, les congés-maladies, etc. En contrepartie, cela nécessite d’engager de nouvelles personnes chargées de les entretenir mais aussi d’assurer les tâches ne pouvant être réalisées par celles-ci comme l’administration, les ressources humaines et les finitions ne pouvant n’être réalisées qu’à la main.

 

Pour l’instant, il n’y a pas encore de travail 100% sans Hommes. Mais attention, la robotique pourrait changer la donne. L’intelligence artificielle évolue et, tôt ou tard, les robots seront suffisamment intelligents pour effectuer les tâches pénibles, compliquées et dangereuses. Certes, nous n’en sommes pas encore là mais l’idée est abordée et des robots font déjà certains travaux en tant que suppléant comme employée d’accueil ou aide médical.

 

Carrefour s’inscrit ainsi dans la logique où il est possible de suivre l’évolution de la société pour engranger des bénéfices avec moins de personnes grâce aux nouvelles technologies. Internet marque son empreinte par une plus grande facilité de consommation, la prochaine étape serait les livraisons à domicile par drone. Une idée déjà présente dans certaines entreprises. A quand le remplacement des employés par des robots pour remplir les rayons et s’occuper des caisses de livraison ?

 

Les limites de la mécanisation totale

 

Comme dit précédemment, nous en sommes par encore là. Il existe encore plusieurs barrières à cette utopie capitaliste.

 

D’abord, la technologie ne permet pas de remplacer totalement l’Homme. Certaines fonctions sont encore trop complexes pour une machine. Les ordinateurs et les automates ne peuvent pas réaliser indépendamment les fonctions sans qu’un employé ne les programme pour les effectuer. A cela s’ajoute aussi la nécessité de les entretenir et de les réparer, impliquant l’obligation de recruter des techniciens. Les robots ne sont pas encore capables de réparer ni de se réparer.

 

Ensuite, il faut aborder le volet juridique. La question de l’utilisation du drone a nécessité de revoir la législation afin de la compléter pour éviter tout vide juridique quant aux responsabilités en cas d’accident et les zones où ils sont autorisés à voler. Pour les machines actuelles, il n’y a pas de problèmes tant que celles-ci seront toujours utilisées par des employés. Le jour où il y n’aura que des robots, pourraient-ils bénéficier d’avantages sociaux et d’un temps de repos obligatoire ? A qui incombera la responsabilité en cas d’accident ou de piratage ?

 

C’est ce dernier point qui peut aussi freiner la robotisation totale. Certains employés ne font pas assez confiances pour déléguer toutes leurs tâches à des machines sans surveillance directe. Certains ne le voudront jamais. Imaginez l’administrateur n’étant présent que pour recevoir son salaire sans effectuer une véritable fonction puis apprend qu’il n’est plus indispensable car un robot peut effectuer tout ce qu’il fait à faible coût. Bien entendu, c’est une situation exagérée car nous en sommes pas encore aux robots pensant comme des Hommes.

 

En plus de la confiance, il y a aussi la volonté. Certains employeurs ne souhaitent pas franchir le pas simplement pour des raisons humaines. Perdre le contact humain n’est point envisageable pour des sociétés se voulant sociales et familiales, et cela l’est encore moins pour les associations caritatives employant des bénévoles et appréciant le dialogue avec les bénéficiaires. De plus, quelle utilité trouverait l’employeur d’un petit magasin employant peu de personnel ? Pour les grosses industries, cela paie mais pour les petites et moyennes, l’utilité ne serait pas rentable en raison du faible retour à l’investissement.

 

Enfin, le gouvernement garde le dernier mot pour tout ce qui concerne les nouveautés. Même si les entreprises sont libres d’organiser leurs structures, elles doivent respecter les lois en vigueur de l’Etat où elles s’implantent. Or, le gouvernement peut très bien demander la limitation voire l’interdiction de la robotisation au nom de la préservation de l’activité humaine mais aussi de la sécurité publique. Faire l’apologie de la mécanisation totale serait un risque électoral trop cher pour se le permettre, surtout si la ligne directrice est la création d’emplois.

 

Ce qu’il se passe chez Carrefour n’est pas un pas vers l’abandon de l’activité humaine mais démontre que les grosses entreprises peuvent fonctionner avec moins de personnel qu’auparavant. Bien que la société réalise de gros bénéfices, les licenciements se justifient par la nécessité d’anticiper l’évolution en se dirigeant vers des structures plus réduites avec moins de monde tout en tirant profit d’Internet et du nouveau mode de consommation.

 

Bien entendu, supprimer tant d’emplois pose question tant qu’à sa nécessité de licencier autant de personnes. Un prétexte pour réaliser des économies. Même s’il est difficile de séparer le vrai du faux, cette restructuration démontre qu’il existe des moyens de réduire l’activité humaine mais pas de la remplacer totalement.

 

 

Le jour où cela sera possible, ce ne sera pas seulement un drame social. Ce sera l’apocalypse.