Balance ton porc et cuisine-le à ta sauce.

Le monde est divisé entre idéologies. Ce n’est pas nouveau. Cependant, même pour des phénomènes mondiaux, la division persiste malgré le sentiment de consensus. Ici, nous aborderons un thème récurrent dans la société du XXIème siècle : le droit des femmes et plus précisément celui de l’égalité.

 

Ces derniers mois, un phénomène est revenu à la mode qui est la nécessité de protéger les femmes face aux abus sexuels de la part d’homme se considérant supérieurs en raison de leur statut et/ou de la fonction occupée. Cette préoccupation connut son début lors de la dénonciation de la part de plusieurs actrices des actions irrespectueuses du réalisateur hollywoodien Harvey Weinstein, l’accusant d’attouchements sexuels. Ceci entraina un effet domino où plusieurs acteurs et réalisateurs sont à leur tour visés par des accusations (de la part d’hommes aussi) mettant parfois fin à leur carrière prématurément.

 

Outre la vague secouant la planète Hollywood où les histoires d’attouchements sont considérées comme des secrets couverts par une « Omerta », ce phénomène tomba dans la vague populaire à travers la propagation sur Twitter des hashtags Balancetonporc et MeToo (Moi aussi) visant à permettre aux personnes ayant été victimes d’harcèlement de dénoncer le mal qu’elle ont vécu.

 

Plus récemment, lors des Golden Globes, le thème de fond fut la défense des droits des femmes avec comme signe de protestation le port d’une robe noire pour les actrices et la soirée s’est conclue (selon les journalistes) par le discours d’Oprah Winfrey dont beaucoup la voit comme future candidate aux élections présidentielles.

 

Et puis vient le pavé dans la mare en France suite à la publication d’une tribune, signée par une centaine de femmes avec à leur tête Catherine Deneuve, appelant la défense du droit des hommes à importuner les femmes. Appel à la modération sur le comportement à adopter lors d’un acte de la part d’un homme pour les uns, défense de la soumission féminine au machisme selon des féministes, ce texte a pour conséquence de diviser sur une question où un semblant d’unanimité semblait pourtant se dégager.

 

La dénonciation aveugle : la solution miracle ?

 

Cette tribune permet pourtant de tempérer les ardeurs en rappelant que tout mouvement à caractère noble peut comporter des excès lorsqu’il est mal exploité.

L’objectif de fond de ces hashtags est de rappeler l’existence des violences infligées aux personnes se considérant comme faibles au moment des faits. Ainsi, la défense de leurs droits est devenue un enjeu censé démontrer que l’application de la loi connait encore des lacunes ou que les mentalités de la société doivent encore évoluer pour parfaire l’égalité tant chérie.

 

Le problème derrière cette initiative et surtout de l’actualité est de donner une image tronquée de la réalité où le moindre geste ou parole de la part d’un homme peuvent s’apparenter à du harcèlement. Ce que dénonce la tribune est le risque de généraliser le sentiment d’oppression en abandonnant l’esprit critique permettant de distinguer la drague du harcèlement. Au final, le risque serait de tomber dans une justice « à la étatsunienne » où toute action mal perçue (même les plus stupides) peut se terminer devant les tribunaux.

 

La tribune s’interroge sur la portée du Balancetonporc, s’il ne va pas trop loin dans son processus de collecte de témoignages anonymes de victimes. Deux risques peuvent exister.

 

Le premier est le renforcement du sentiment d’impunité auprès de femmes ayant de mauvaises intentions. La presse a tendance à rapporter les accusations sans que celles-ci ne soient au préalable vérifiées par une instance compétente pour déterminer leur validité. Certaines femmes seraient ainsi tentées de profiter de ce phénomène pour se venger d’un homme en l’accusant publiquement d’harcèlement sexuel. Même si cela n’aboutit pas à une condamnation pénale, la perte de crédibilité de l’accusé suffit pour ternir son image à tout jamais.

 

Le second est le désir de substituer les mouvements sociaux à la justice institutionnelle, accusée de ne pas faire son travail correctement voire de protéger les harceleurs lorsqu’il s’agit de personnes fortunées. Le véritable problème est que la pression exercée sur les victimes ou par elles-mêmes les empêchent de porter plainte dans les délais nécessaires pour rendre l’affaire jugeable. Ceci a pour conséquence de permettre aux harceleurs de profiter de la légalité du temps via la prescription ou l’absence d’éléments probants pour appuyer les accusations. Face à cela, certaines victimes seraient tentées d’instaurer une justice parallèle, plus expéditive et se rapprochant de la condamnation sur la place publique.

 

Intégrisme : une présence pas seulement là où le pense

 

Ce qui pose problème avec cette tribune est qu’elle va à contre-sens de l’idée propagée par l’affaire Weinstein que toutes les femmes se faisant aborder ou touchées sans leur consentement sont des victimes sexuelles, comme le suggéreraient les féministes visant à discréditer le genre masculin en l’accusant d’abriter des obsédés considérant les femmes comme des objets à conquérir. En fait, c’est plus complexe que cela.

 

Comme dans chaque groupe se définissant une identité via une cause à défendre, il existe différents degrés de tolérance allant de la modération à l’extrémisme. Lorsque nous parlons d’intégrisme, nous faisons souvent référence à l’Islam en raison des attentats terroristes et des prêches appelant à l’application radicale de la Charia dans les pays laïques. Cependant, l’actualité ne doit pas réduire l’intégrisme à une exclusivité musulmane tant que ce concept existe partout, notamment dans les autres religions où leur ouvrage doit faire office de code de conduite à suivre scrupuleusement selon la vision du maitre-religieux.

 

Selon le Larousse, l’intégrisme est « une attitude et disposition d’esprit de certains croyants qui, au nom du respect intransigeant de la tradition, se refusent à toute évolution ». Pour la religion, il peut s’agir du rejet de tout mouvement souhaitant remettre en question l’obscurantisme institutionnel ou la pensée dominante. Pour le féminisme, ce serait le refus de contester la vision majoritaire du mouvement sur les hommes.

 

Le féminisme n’est donc pas un mouvement uni. Il est séparé en diverses catégories évoluant selon différents degrés. A la base, le féminisme visa l’abolition des barrières juridiques justifiant les discriminations hommes-femmes. Aujourd’hui, il tente de gommer les différences sociales existant encore sur base de discriminations (différence de salaire et d’évolution de carrière) car la loi défend l’égalité acquise tels l’interdiction de toute discrimination sur base sexuelle et le respect de l’intégrité physique et moral des femmes. Le problème est que certains groupes féministes ne sont pas satisfaits et souhaitent aller plus loin. Les modérés souhaitent le respect de l’égalité homme-femme sans que les hommes soient constamment pointés du doigt en tant de facteur de discrimination. Les cas les plus extrêmes, appelés féminazis dans le jargon populaire, considèrent que la femme doit devenir supérieur à l’homme au nom de la lutte contre la misogynie.

 

Quelle lecture faut-il apporter à la tribune? Il pourrait s’agir d’une mise en garde demandant aux femmes de faire attention aux interprétations d’un geste ou d’une parole posés sur elle par un homme. Ainsi, les cent signataires rappellent qu’il existe une distinction entre le harcèlement et la drague maladroite. Tous ne sont pas des extravertis à l’aise lorsqu’ils parlent à une femme. Il est possible qu’ils commettent une erreur dans la transmission de leur message ou que la femme ne le perçoive pas correctement. Or, depuis l’avènement du Net et des réseaux sociaux, chacun dispose d’un outil de communication permettant de répondre (trop) rapidement et de réagir (trop) vite aux commentaires. Ainsi s’affrontent les modérés, les féminazis, les outsiders n’affichant pas de position claire et des personnes ne souhaitant donner qu’un avis substantiel.

 

Ce que les signataires veulent mettre en garde est l’utilisation par les féministes extrêmes et les faibles d’esprit du phénomène Balancetonporc pour répandre leur idée d’oppression masculine. Ceci est en effet très dangereux car cela peut décourager les hommes à draguer les femmes par peur de se voir infliger une condamnation pour un geste ou une parole déplacée sans intention criminelle derrière. Il est encore plus dangereux de répandre la croyance aux femmes et aux filles qu’un homme ou un garçon s’approchant trop près d’elles ne leur souhaitent que du mal.

 

Non, Balancetonporc doit rester un outil visant à dénoncer les vrais criminels, ceux qui ont abusé de leur prétendue supériorité pour commettre un crime. Car le harcèlement est punissable par la loi qui doit s’appliquer à tous et à toutes. Mais la justice ne doit pas devenir un instrument de vengeance utilisé à mauvaise escient pour détruire la carrière d’un innocent. La dénonciation sur les réseaux sociaux ne doit surtout pas devenir un moyen de se faire justice soi-même mais doit aider la victime à entreprendre les démarches pour que l’affaire soit portée devant les tribunaux.

 

Vers une société égalitaire et plus juste ?

 

Ce phénomène a le mérite de rappeler qu’il existe encore des rapports de force inégaux entre des personnes fortes se croyant tout permis et des personnes faibles préférant se taire jusqu’à ne plus pouvoir encaisser. Ainsi, ces mouvements de dénonciation permettent aux victimes de se libérer d’un fardeau porté en elles pendant des années et d’y chercher un soutien moral en observant une forme de solidarité.

 

Cependant, les mouvements ne trouveront leur utilité que s’ils apportent des effets sur le long-terme : une justice plus efficace prenant mieux en compte les affaires d’harcèlement, une conscientisation des mœurs sur le respect des femmes dans la société et une meilleure parité homme-femme dans les domaines où les discriminations n’ont pas lieu d’être.

 

Par contre, l’initiative restera lettre morte s’il ne s’agit que d’un phénomène de mode passager de quelques mois, récupéré par des célébrités où toutes celles qui ne s’alignent pas sur le consensus idéologique sont des déviantes défendant la misogynie. Les féminazis ne doivent pas devenir les porte-voix de la mouvance féministe en créant l’amalgame entre les modérés et les extrémistes.

 

Donc oui, il ne faut pas que Balancetonporc aille trop. Il doit rester dans le cadre tel qu’il a été créé : un canal de soutien aux victimes leur permettant de se délester d’un poids.

 

Ce n’est qu’après la fin du phénomène qu’il serait possible de déterminer son efficacité. Mais ne croyez pas que c’est fini. Quand une femme a quelque chose à dire, elle trouvera une nouvelle occasion pour le communiquer.

 

Source :

 

 

CADOLLE Sylvie, "Les féminismes, ou le débat du sexe et du genre", JFP, n°40, 2011, pp. 25-30, https://www.cairn.info/revue-journal-francais-de-psychiatrie-2011-1-page-25.htm

LE BARS Stéphanie, Féminisme: la "tribune de Deneuve" fait réagir au-delà des frontières, Le Monde, 10 janvier 2018, http://www.lemonde.fr/societe/article/2018/01/10/la-tribune-de-deneuve-fait-reagir-au-dela-des-frontieres_5240067_3224.html

Le hashtag "Balance ton porc" est-il allé trop loin?, Capital, 10 janvier 2018, https://www.capital.fr/polemik/le-hashtag-balance-ton-porc-va-t-il-trop-loin-1264705

Intégrisme, Larousse, http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/int%C3%A9grisme/43541