La télé-réalité et la vie irréelle.

C'est Noël et pour célébrer ce moment convivial, pourquoi ne pas parler d'un genre d'émission où règne une ambiance unique avec des inconnus qui se rencontrent, s'échangent des confidences, sympathisent avant de se tirer les cheveux jusqu'à leur disparition dans la masse populaire dans laquelle ils sont issus. Cela s'appelle la télé-réalité, un zoo médiatique où des personnes sont enfermées dans un espace clos avec de quoi vivre pendant des semaines jusqu'à leur élimination par les téléspectateurs selon des règles parfois claires, parfois confuses voire absurdes.

 

Je ne vais pas revenir sur les formalités précises pour expliquer la recette parfaite d'une bonne émission, cette question étant déjà abordée précédemment.

Ici, il s'agit de présenter plusieurs émissions afin de comprendre comment on s'y accroche, nous restons captivés par les exploits et les stupidités de monsieur et madame tout-le-monde devenant du jour au lendemain une personne d'intérêt, même temporairement.

 

Des talents à démontrer

 

Les émissions de télé-réalité peuvent montrer des personnes étant banales à première vue sous une forme non-soupçonnée par leurs proches. Ainsi, des talents sommeillent dans leur entourage, du courage existe malgré la routine poussant à la banalisation de la journée de travail. En clair, certaines personnes ont envie de se dépasser, de prouver à eux-mêmes qu'ils sont capables de réaliser des exploits jamais imaginés auparavant.

 

Koh-Lanta est un bon exemple du dépassement physique et mental de soi. Pour rappel, il s'agit d'une émission de survie (théoriquement) sur une île déserte (aussi théoriquement) où les candidats et les candidates doivent se débrouiller et collaborer pour survivre le temps de l'émission puis réaliser des épreuves individuelles ou collectives pour des immunités et des récompenses jusqu'au conseil pour éliminer un candidat. Lorsque vous regardez cette émission, beaucoup se sont surement dits que ce n'était pas pour eux. Et pourtant, peut-être que l'envie vous prendra de vous étonner en découvrant une force physique et mentale cachée au fond de vous-même. C'est le but de Koh-Lanta : ramener l'être humain à sa nature animale avant que la civilisation ne la lui retire par sédentarisation. Bien que la solidarité soit présente car l'union fait la force, la stratégie n'est jamais loin lorsqu'il s'agit d'éliminer un membre de la tribu jugé trop dangereux en raison de ses aptitudes tout en gardant des personnes capables de faire tourner la bande. Bon survivant, mauvais stratège, la victoire peut filer.

 

La Star Academy est un autre exemple de révélateur de talent mais artistique cette fois. Cette autre émission de télé-réalité propose aux candidats et candidates de passer plusieurs mois dans un manoir pour recevoir un coaching poussé sur la voie d'une star, d'où le nom de l'émission. Chant, danse, interprétation, tout pour vous transformer en célébrité. Mais cette fois-ci, ce ne sont plus les membres qui nominent pour éliminer mais les téléspectateurs. Du coup, celui qui chante mal ou crée une ambiance négative se retrouve sanctionner par les votants qui ne souhaitent plus voir sa sale figure ou subir son mauvais comportement. Et une fois la semaine passée, les candidats restants organisent un show où ils deviennent la principale attraction. Quant à la vie après l'émission, certains réussissent, d'autres pas ou se convertissent.

 

Ces deux émissions ont pour objectif de transformer de simples citoyens en personnes exceptionnelles capables de se démarquer de la masse par la force et le mental pour la première, et le talent artistique pour la seconde. Ces émissions privilégient donc les compétences personnelles même si la seconde inaugure le vote par la beauté et le charisme, comme lors des élections politiques.  

 

Les célébrités dans la télé-réalité

 

Il fut un moment où les simples personnes ne suffisaient plus pour captiver les téléspectateurs. En effet, une société de production doit varier les concepts sous peine de provoquer une lassitude conduisant vers une perte d'audimat. Face à ce problème, il est possible de convaincre des personnes bénéficiant déjà d'une certaine notoriété de participer à une émission de télé-réalité. Prenons quelques exemples.

 

La Ferme Célébrité consistait à placer des célébrités dans une ferme mais je suppose que vous l'aviez déjà compris rien qu'au titre. En gros, il s'agit de demander à celles-ci de vivre comme des fermiers et plus particulièrement comme des éleveurs chargés de s'occuper des animaux. Il n'est pas question de leur faire labourer les champs ou de s'amuser à conduire des moissonneuses. Le concept doit rester simple, convivial et ne doit pas montrer la dure réalité du travail de fermier ne se limitant pas toujours à une seule fonction selon la conjoncture économique. De plus, quoi de plus mignon que les animaux de la ferme? Vache, cheval, poule, comme dans votre enfance avec votre école durant un séjour pédagogique. Le marketing, c'est aussi savoir mobiliser les beaux souvenirs d'enfant et jouer sur la sensibilité envers les animaux.

 

Première Compagnie reprend le concept de célébrités mais cette fois-ci ... dans l'armée. Oui, vous avez bien lu. L’émission propose à celles-ci de suivre une formation militaire de courte durée. Point question de manier les armes ou de les envoyer sur le terrain, il s’agit de leur enseigner la discipline et la dure vie d’un soldat forcé de réaliser des exercices, et tout cela pour le plus grand plaisir des téléspectateurs qui s’amuseront de regarder leurs idoles souffrir et subir les humiliations de leur supérieur. Et ceux qui n’aiment pas les candidats seront aussi ravis de voir leur célébrité détestée dans un domaine qu’elle n’excelle pas.

Les célébrités ne sont pas que des artistes, ce sont aussi des produits utilisés non seulement dans la publicité mais surtout pour la production d’émissions afin d’attirer le plus de téléspectateurs. Mais peut-on encore parler de télé-réalité étant donné que cela s’éloigne de la réalité lorsque nous faisons appel à des personnes sortant déjà du lot et donc ne sont pas aussi populaires (au sens proches du peuple et non célèbres) que les candidats des autres émissions? Peut-être une raison du retour des émissions avec des candidats de la vie de tous les jours.

 

La victoire par la médiocratie

 

Le plus navrant dans la télé-réalité est lorsque les personnes engagées sont jugées non pas sur leur talent mais … sur rien. Difficile d’y croire et pourtant, c’est le concept actuel qui est de ne pas se focaliser sur l’aspect artistique mais sur la normalité individuelle de chacun. Chaque individu possède des compétences pour effectuer un métier ou une activité que d’autres ne sauraient faire mais dans ce genre d’émission, cet avantage ne sert à rien car il n’est pas mobilisé pour progresser.

 

Loft Story est une vieille émission de télé-réalité reprenant pourtant le concept de base de celle que nous connaissons aujourd’hui. Comme à la Star Ac, nous enfermons des personnes dans un manoir et ce sont les téléspectateurs qui votent pour savoir qui dégage. Sauf que les candidats ne passent pas leur journée à s’entrainer pour devenir une célébrité mais simplement à passer le temps, parfois avec des épreuves ou des évènements. En gros, c’est comme des vacances avec des inconnus qui deviennent des amis ou des ennemis, le tout sous les caméras prêtes à filmer la séquence idéale (gaffe aux baigneurs, la piscine en est aussi truffée).

Aujourd’hui, l’émission qui fonctionne bien se nomme Secret Story. Elle reprend le fond de Loft Story mais rajoute un ingrédient indispensable : la découverte du secret des autres candidats. Pour cela, une voix leur annonce des défis et leur accorde des avantages ou des conditions pour grossir leur cagnotte. Ici, point question d’une amitié aveugle. Coups bas, mensonges et tromperies sont la clé du succès. De belles valeurs pour la jeunesse…

 

Le point commun entre ces deux émissions est d’élever des personnes au-dessus du reste non pas pour leur talent artistique mais sur aucune base. Il n’y a pas d’éléments objectifs pour déterminer pourquoi les candidats sont adulés comme des célébrités si ce n’est qu’ils ont été sélectionnés pour une émission qui ne fera que les rabaisser au rang d’attraction zoologique sous les yeux de téléspectateurs s’intéressant plus à la vie virtuelle des candidats qu’à la leur. Autant Loft Story laissait transparaitre un air bon enfant, autant Secret Story incite à adopter l’attitude d’un agent du KGB ou du seigneur avide où la confiance n’est qu’un piège pour mieux poignarder la victime et s’emparer de son butin. A l’heure où nous demandons aux enfants de s’aimer, de s’entraider, de s’accepter sans jugement hâtif, l’émission qui cartonne prône le mensonge et la tromperie au nom de la victoire individuelle.

 

Carré Viiip, l’émission carrée vite oubliée

 

Ce fut l’émission de trop, celle qui n’aurait jamais dû sortir du stade de projet. Et pourtant, elle fut annoncée en grande pompe comme un hommage à la télé-réalité, une sorte de cadeau anniversaire pour le « succès » de ce concept qui rapporte. Pour cela, les développeurs ont eu l’idée de rassembler des candidats issus de différentes émissions de télé-réalité en une seule puis de les mélanger avec des candidats « normaux » (ce terme me met mal à l’aise mais je n’en ai pas trouvé d’autre).

 

Rapidement, l’émission connut une publicité négative : plainte auprès du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel demandant d’imposer le minimum d’âge de 12 ans, contenu trop vide pour justifier une diffusion quotidienne, dérision proche de la parodie selon les concepteurs tournée en glorification du « rien-faire de la journée » et de la recherche du trash. Une émission annoncée comme la cerise sur le gâteau de TF1 qui finit par tomber dans l’outrance et pénalisa la chaîne dans la course à l’audimat.

Bien qu’il existe diverses raisons pouvant expliquer cet échec, il arrive qu’un concept poussé trop loin ne prenne pas la sauce comme les autres. Contrairement à ce que certains concepteurs croient, tous les téléspectateurs ne regardent pas aveuglement leur émission sans se demander ce qu’ils regardent réellement : un divertissement ou l’apogée du vulgaire? Heureusement, les producteurs ont eu la bonne idée de déprogrammer Carré Viiip au bout de deux semaines, histoire de cesser la polémique et les frais.

 

Cependant, elle ne signa pas la fin de la télé-réalité car Secret Story (aussi réputée pour sa vulgarité) continue d’être diffusée. L’impact de Carré Viiip fut de ne plus prendre de risque en inventant un concept novateur mais risqué pour se reposer sur des bases solides avec des nouveautés à chaque saison.

 

Télé-réalité : course irréelle à l’audimat

 

Comme une entreprise, le but de la télé-réalité est de proposer un produit qui se vend. Il faut donc un concept qui accroche, des candidats capables d’en faire autant, des quotidiennes justifiant qu’elles soient regardées et surtout un suspens étalé sur plusieurs semaines.

 

Mais ce qui est justement effrayant est cette course effrénée à l’audimat. Jusqu’où sommes-nous capables d’inventer au nom du profit et des parts du marché? Ceci n’est point une question anodine car des concepts choquants existent. Ainsi, en Russie, il est prévu de réaliser une sorte d’Hunger Games en Sibérie où chaque candidat doit survivre en condition extrême sans pour autant enfreindre la loi. En Serbie c’est plus trash : une émission de télé-réalité où on peut assister à des scènes de violences conjugales, en direct! 

 

Certes, il s’agit d’autres pays avec une culture différente de la nôtre mais cela démontre qu’il existe une barrière entre la morale et le profit prête à être franchie par le producteur. N’oublions pas non plus que tout dépend aussi du pouvoir du CSA de chaque pays, certains étant à cheval sur les règles, d’autres plus laxistes.

 

Un autre problème est l’intérêt dégagé par la télé-réalité lui valant une place dans la catégorie de la télé-poubelle, c’est-à-dire une émission avec un niveau culturel faible voire nul par rapport aux autres émissions proposées. Cela ne vous rappelle-t-il pas un des critères pour devenir candidat? Alors que des téléspectateurs s’émerveillent devant les merveilles de la nature, apprécient de mieux comprendre l’actualité, de regarder les variétés ou même de participer devant leur écran à des jeux pour tester leur culture générale, voilà que la culture du vide se taille une place et se maquille à travers des castings accrocheurs pour justement masquer le néant qu’elle génère. Ajoutez à cela des candidats s’imaginant devenir des célébrités juste en passant par une émission où ils ne doivent rien faire d’exceptionnel.

 

Les candidats, parlons-en car ce sont les grands oubliés. Oui, ce sont des personnes comme vous et moi mais une fois entrées dans l’émission, ce ne sont plus que des objets. Dès le premier jour, ils sont présentés comme des personnes supérieures (d’où la scène surélevée pour donner cette impression de grandeur), se retrouvent enfermés dans un monde déconnecté de la réalité (qui les a déjà vu faire le ménage et les courses en direct?), épiés et observés comme des animaux en cage (les caméras sont équipées d’une vision infrarouge!) où nous attendons d’eux une réaction brisant la monotonie du quotidien comme une dispute pour savoir qui n’a pas tiré la chasse d’eau (sans mentir, ça s’est réellement passé) pour finalement s’en aller dans la honte la plus totale. Cette dernière remarque ne vaut pas seulement pour les perdants qui retombent rapidement dans l’anonymat mais aussi pour ceux qui parviennent à atteindre la fin de l’aventure car ils restent des objets de moqueries et de société en raison de leurs frasques et de leur intelligence proche du vide (Loana et Nabilla sont des exemples toujours d’actualité). Le pire est le concept d’interchangeabilité, inspiré du prolétariat, où chaque saison voit arriver son nouveau lot de candidats. Or, quid des précédents? Que deviennent-ils? Malheureusement, certains ne parviennent pas à rebondir et finissent par se suicider. Ainsi, lorsque Carré Viiip s’arrêta brusquement, un des candidats mit fin à ses jours car il ne supporta pas cet arrêt brutal. La chaîne de production fut par la suite pointée du doigt par sa négligence sur l’impact psychologique des candidats une fois l’émission terminée pour eux.

 

Enfin, parler de télé-réalité, est-ce logique ou contradictoire? Filmer la réalité, c’est la montrer sans trucage ni influence directe sur le cours des évènements, comme les reportages animaliers où les présentateurs restent en dehors de la vie des animaux pour les observer dans leur milieu naturel. La télé-réalité porte mal son nom car les candidats ne se retrouvant pas dans la réalité réelle mais celle imposée par la production qui leur écrit un scénario avec des consignes à respecter pour maintenir l’audience au plus haut niveau. Ne croyez donc pas que tout ce que vous voyez est vrai, il arrive qu’il y ait une exagération, histoire de vous captiver et de vous donner envie d’en savoir plus.

 

La télé-réalité est donc la création d’un univers virtuel flanqué d’une étiquette de réalité grâce à une marge d’autonomie accordée aux candidats, se déroulant dans un décor idyllique, sur fond de jeu avec des règles pas toujours comprises et ne se jouant pas honnêtement lorsque une « force supérieure » vous contraint de vous rabaisser au nom du gain. Plutôt que la présenter comme un reflet de la télé-réalité, il s’agit surtout d’un spectacle d’improvisation dont les scènes se jouent quotidiennement devant des spectateurs que les acteurs ne voient pas mais subissent leur influence via les nominations pour finalement être payés ou pas sur base du jugement du public et non de leur prestation.

 

Il y a beaucoup à discuter sur la télé-réalité. Est-ce une émission promettant des valeurs nobles à la jeunesse ou remplissant leur cerveau de bêtises et d’inutilités? Est-ce un reflet de la société ou de celle que nous souhaitons selon le choix des candidats? Si vous n’aimez pas la télé-réalité, rien ne vous empêche de regarder autre chose, jusqu’au jour où la médiocrité deviendra la norme.

 

Articles utilisés :

 

ATTIA Myriam, Télé-réalité ou télé-poubelle?, Médiapart, 7 mai 2015, https://blogs.mediapart.fr/edition/lyceennes-lyceens/article/070515/tele-realite-ou-tele-poubelle

DOVERGNE Constance, Sexe, violence et propagande : « Parovi », télé-réalité la plus trash au monde, Vanityfair, 14 novembre 2017, http://www.vanityfair.fr/culture/tele/articles/parovi-la-tele-realite-serbe-la-plus-trash-du-monde/44245  

JOUIN-CLAUDE Alysson, Carré Viiip déprogrammé : pourquoi l’émission a sombré … et à quel prix!, Pure People, 1er avril 2011, http://www.purepeople.com/article/carre-viiip-deprogramme-pourquoi-l-emission-a-sombre-et-a-quel-prix_a77068/1