2020 : La Belgique sera-t-elle toujours là?

Si le décès de Johnny Hallyday ne vous a pas captivé, alors vous seriez peut-être au courant d'un autre drame national. Suite au non-avancement sur le dossier du futur stade bruxellois, l'UEFA a décidé de retirer Bruxelles de la liste des villes accueillant les matchs de l'Euro 2020. Drame n'est pas un terme exagéré. Outre les pertes financières engendrées par le coût des procédures et les retombées qui n'arriveront pas, c'est surtout l'image de la Belgique qui s'en prend un coup car, il faut l'avouer, les raisons du non-avancement sont dignes du surréalisme ... à la belge.

 

Et oui, notre pays est si complexe que celui qui prétend tout comprendre sans avoir fait science po n'a en réalité rien compris. En effet, le stade bruxellois ne s'étendait pas seulement dans la Région de Bruxelles-Capitale mais aussi en Flandre pour un parking. Or, cela nécessite un accord entre les deux Régions pour le permis de bâtir. Rajouter à cela une confrontation permanente entre les différentes communautés (les populations, pas les entités) au niveau politique où chacun tente de tirer la couverture vers soi, quitte à endommager (volontairement) la structure fragile de la Belgique.

 

Une telle situation a poussé Alain Courtois, l'échevin des sports de Bruxelles-Ville, à se demander s'il est encore possible de réaliser un grand projet ambitieux en Belgique, et il n'a pas tort.

 

Belgique : le fédéralisme de la division

 

Lors de sa création, la Belgique fut constituée pour être un Etat unitaire, c'est-à-dire que l'ensemble des pouvoirs est concentré aux mains du gouvernement belge. Au fil des décennies, la division s'accentua sous la pression des autonomistes non seulement au Nord mais aussi au Sud du pays. Cela abouti à diverses réformes : frontière linguistique, scission du Brabant, création des Régions et des Communautés, et l'apothéose arriva avec le passage du système unitaire au système fédéral. Et ce n'est pas près de se terminer. A chaque élection se pose la question d'une énième réforme visant à détricoter le fédéral au nom de la régionalisation et de la communautarisation.

 

La division ne s'arrête pas là. La Belgique a la particularité d'être le seul pays où il n'existe aucun parti traditionnel au niveau fédéral et pour cause : eux aussi se sont divisés! Libéraux, socialistes, chrétiens-démocrates, tous ceux-là n'ont plus de représentations nationales, seulement pour les entités fédérées. Attention, tous les partis ne sont pas scindés. Le PTB (extrême-gauche ouvrier) reste un parti uni tandis que les écologistes ont formé un pacte visant à siéger ensemble au niveau fédéral. Pour le reste, c'est chacun pour soi.

 

C'est tout le paradoxe de la Belgique : un fédéralisme incitant à la division tout en restant uni sous un même pays. Le fédéralisme belge est spécial et explique la situation rencontrée pour la candidature à l'Euro 2020.

 

Pour rappel, un Etat est fédéral lorsque des compétences étatiques sont entièrement ou partiellement déléguées à des entités fédérées qui constituent leur propre gouvernement et parlement(s) pour assurer les pouvoirs reçus. Celles-ci portent différents noms selon le pays (Région, Province, Etat, Lander, Canton, République, etc.) et assument totalement leurs compétences ou les partagent avec le niveau fédéral dont ses lois sont supérieures au niveau juridique. Ainsi, si le fédéral statue sur une compétence dite partagée, alors ce sera lui qui primera sur toute décision fédérée.

 

En Belgique, le fédéralisme est confus car il existe deux niveaux fédéraux se croisant. La Région assume principalement les compétences liées à l'économie et à l'aménagement du territoire. La Communauté se charge principalement de la culture et de l'enseignement. Suite à la répartition des compétences, il n'est pas possible de placer des frontières claires car la Communauté s'étend sur la Région respective et inclut Bruxelles-Capitale partagée entre les Communautés flamande et francophone (devenue Fédération Wallonie-Bruxelles) tandis que la Wallonie est divisée entre les Régions francophone et germanophone. La Flandre à l'avantage d'avoir pu unifier sa Région et sa Communauté, ce qui n'est pas le cas de la Wallonie pour des raisons politiques.

 

Il existe aussi des compétences partagées mais sans hiérarchie. En réalité, toutes les entités sont placées sur un même pied d'égalité, ce qui signifie que chacune d'entre elles doivent respecter les pouvoirs reçus sous peine d'entrer en conflit technique en cas de transgression. Un des problèmes en Belgique est donc l'absence de pouvoir supérieur ne permettant pas de clarifier une politique en cas de blocage. Ainsi, le stade bruxellois nécessite un accord entre les entités mais le fédéral ne peut pas jouer le juge pour trancher, seulement l'arbitre pour trouver un accord.

 

En parlant d'accord, c'est le point épineux de la Belgique. En raison de l'absence de partis nationaux traditionnels au niveau fédéral, chaque parti de la majorité doit tenter de satisfaire ses entités fédérées dont il est issu. La difficulté réside aussi dans la différence de législatures présentes au fédéral et aux entités fédérées car il n'existe pas d'équivalence.

 

Alors que pour les entités la formation du gouvernement est souvent rapide, le fédéral est une autre paire de manches. C'est la rencontre des extrêmes qui se déroule avec au centre le Roi qui nomme diverses personnalités politiques à diverses fonctions (explorateur, conciliateur, pré-formateur) jusqu'à la fonction suprême de formateur pouvant déboucher à celui de Premier ministre en cas de succès, du moins s'il ne jette pas l'éponge avant. Entre des Francophones souvent de gauche et des Flamands de droite prônant pour davantage d'autonomie, la majorité peut déboucher sur une copie du gouvernement de l'une des entités ou sur un équilibre incluant des partis de la majorité de toutes les entités concernées.

 

Le fédéralisme belge n'est donc pas un modèle de coopération mais au contraire de concurrence où chaque entité tente de renforcer son influence au niveau fédéral pour en tirer un maximum de profits par la convergence de leurs politiques à celles de l'entité fédérale.

 

Belgique : un mini-Europe à elle seule

 

Plus elle s'élargit, plus l'Union européenne a des difficultés à se décider. Pour la Belgique, c'est pareil sauf qu'elle ne s'élargit pas. Lorsqu'une entité décide pour son territoire, elle ne dispose d'aucune limite tant qu'elle respecte les compétences attribuées et ne prend pas de décision pouvant générer un conflit d'intérêt, une procédure visant à bloquer une décision extérieure si elle est considérée comme préjudiciable.

 

Bien que les Affaires étrangères restent une compétence fédérale, la question de la représentation devient épineuse lorsqu'il s'agit de matières partagées comme les questions environnementales. Cela signifie que toutes les entités doivent trouver un accord pour définir la position de la Belgique, une difficulté que n'ont pas les autres Etats. Ajoutez à cette complication l'existence au niveau régional des relations extérieures visant à offrir une image positive de la Région, pas du pays. Non seulement il faut un accord entre les entités pour parler environnement mais en plus ils se disputent les marchés extérieurs comme ils étaient des Etats concurrents. Super, le fédéralisme belge. Heureusement, ce dernier point est exagéré car généralement les ministres accompagnent le Roi qui se montre neutre lors de la recherche de contrats. De plus, même si le fédéral n'est pas supérieur, les entités ne peuvent pas conclure d'accords internationaux allant à l'encontre des traités dont la négociation revient au fédéral.

 

En soit, la Belgique n'est pas l'UE mais montre que la coopération n'est pas toujours effective lorsque des intérêts personnels sont présents lors des discussions. Imaginez ce qu'il se passerait si l'UE souhaitait former un gouvernement fédéral, ce serait le blocage total.

 

Belgique : encore des projets d'avenir?

 

La Belgique fédérale n'est pas qu'un pays ne connaissant que des blocages et des dissensions. Rappelez-vous de l'Euro 2000, la Belgique a pu l'organiser. Mais pourquoi pas en 2020 alors? C'est une question de contexte.

 

Si une Région ou une Communauté considère que le projet ne lui plait pas, elle peut invoquer une raison pour faire trainer le dossier via des recours ou la demande d'analyse de nouvelles solutions. Et souvent, une solution en Belgique devient un nouveau problème dont la régionalisation n'est pas toujours la formule miracle.

 

Une autre raison est la configuration des gouvernements et plus précisément de la composante flamande. Seront-ils présents des partis acceptant d'améliorer l'image du pays ou au contraire souhaitant la saper au nom de la protection des intérêts flamands voire de la destruction du pays pour favoriser la proclamation de son indépendance?

 

Ce que les nationalistes ne comprennent pas est que les retombées financières pour la Belgique profitent aussi aux entités fédérées. En raison de la petite taille du pays, le tourisme devient une activité ne nécessitant pas de longs déplacements pour varier les visites. Le transport aérien profite à tous les aéroports en raison des destinations. Et surtout la Belgique dispose d'une meilleure renommée que ses entités et donc génère davantage de publicité.

 

C'est peut-être pour cela que la devise est "L'union fait la force". Différents mais souhaitant œuvrer ensemble. La majorité des Belges ne souhaitent pas se séparer, il s'agit d'un sentiment certes existant mais exagéré par la classe politique et les médias. Les Flamands souhaitant plus d'autonomie mais le degré dépend des partis allant de l'optimisation des compétences déjà acquises jusqu'au détricotage à long terme.

 

Pour 2020, c'est loupé mais il reste encore 2028. Peut-être que la configuration future du pays permettra d'aboutir sur un meilleur dossier, s'il existera encore.   

 

 

Ce court article n'a pas pour vocation d'expliquer le fonctionnement de la Belgique mais d'exprimer un état d'âme sur la situation actuelle du pays qui dispose d'un riche patrimoine culturel, artistique et scientifique. Il est dommage que les politiques ne sachent pas en tirer profit et préfèrent se borner sur leur conception de l'avenir du pays, quitte à le détruire à petit feu. Pour rappel, les prochaines élections législatives auront lieu en 2019. Nous avons échappé à une crise de plus d'un an en 2011, serons-nous prêts à survivre à une nouvelle?