La dictature : le dictat à la dure.

Source : Allocine.fr
Affiche du film de Charles Chaplin : Le Dictateur.

L'actualité africaine se penche sur le sort du président du Zimbabwe Robert Mugabe, en place depuis près de 30 ans, devenu indésirable depuis près d'une semaine par la majorité de la population, de l'armée et même de son propre parti, le ZANU (Zimbabwe African National Union). En cause : la décision d'écarter son vice-président Emmerson Mnangagwa pour favoriser la succession de la Première Dame Grace Mugabe, impopulaire car jugée trop ambitieuse. Suite à cet incident, le couple présidentiel est expulsé du parti et une procédure de destitution se prépare si le Président refuse de démissionner, décision qu'il a pris quelques jours après cette menace.

 

Perçu comme le plus vieux dictateur au monde encore en exercice, le Président Mugabe incarne ce qu'est une dictature : la confiscation du pouvoir par un groupe de personnes dont le chef ou le nominé dirige le pays, usant des appareils de l'Etat pour rester au pouvoir via la répression et le dictat.

 

Le dictateur : un rôle antique

 

La dictature n'est pas un système politique nouveau, elle a toujours existé. Dans l'Antiquité, et plus précisément dans la République romaine, le dictateur était une personne investie de tous les pouvoirs durant une période déterminée (six mois généralement). Il ne prenait pas le pouvoir par la force mais par la nécessité de la situation justifiant sa nomination par un des deux consuls. Selon la terminologie romaine, le dictateur ne correspond pas à la définition moderne qui se réfère davantage au tyran, le dirigeant absolu grec, qui a conquis le pouvoir par la force et se forçait de le maintenir coûte que coûte.

 

Il existe diverses manières pour qu'une dictature s'installe :

 

-          Le coup d'Etat militaire est la plus connue. Il s'agit du renversement d'un régime par l'armée ou une partie de celle-ci pour introniser un officier ou un homme politique défendu par les militaires. Il s'agit soit de renverser un monarque pour proclamer la république (Libye, Irak) soit un président pour instaurer un régime militaire (dictatures sud-américaines);

 

-          La guerre civile peut aussi accoucher d'une dictature si les opposants parviennent à renverser le pouvoir en place pour instaurer le leur. Souvent, il s'agit d'imposer par les armes une conception de la société basée sur une idéologie (URSS, Espagne, Chine);

 

-          Cependant, les coups d'Etats ne sont pas toujours une affaire intérieure. Certains Etats considèrent le renversement de gouvernements étrangers comme nécessaire pour préserver leur intérêts personnels. Ainsi, la CIA eut la réputation durant la Guerre froide de provoquer la chute de régimes trop proches du socialisme (Chili);

 

-          La démocratie n'est pas, pour certaines personnalités, une valeur à défendre mais une méthode pour arriver au pouvoir. Une fois les élections remportées et la nomination à la fonction suprême accordée, le nouveau dirigeant peut décider de supprimer les contre-pouvoirs puis modifier les institutions dans le seul but de consolider son pouvoir personnel (Allemagne nazie);

 

-          Enfin, la dictature peut apparaitre dès la naissance de l'Etat. Lors de la décolonisation, une faction militaire ayant lutté pour l'indépendance du pays peut prendre le pouvoir et le maintenir au nom de l'union nationale vitale à la survie du pays (Zimbabwe, Erythrée). Un Etat peut aussi naitre suite à la dissolution d'un plus grand qui aboutit à la création de plusieurs entités étatiques dont les dirigeants régionaux deviennent les présidents (Kazakhstan, Turkménistan).

 

Cette liste n'est pas exhaustive car chaque Etat possède sa propre histoire. Les raisons peuvent varier et s'enchainer. Ici, il ne s'agit que de donner un aperçu de la possible naissance d'une dictature mais cela ne veut pas dire que ce sera le même résultat pour tous. Par exemple, une guerre civile peut déboucher sur une vraie démocratie tout comme elle peut aussi fragmenter l'Etat.

 

Une fois placé, le dictateur fait tout pour y rester. Pour cela, il doit compter sur la confiance des différentes composantes de la société, surtout celle du monde politique (et plus particulièrement de son parti) et de l'armée car susceptibles de le renverser dès que l'occasion se présentera. Le contrôle des institutions est aussi important pour garantir la transmission et l'exécution des lois émises.

 

Comme dans toute société, il existe des groupes d'opposition critiquant les actions du gouvernement. Face à cela, le dictateur doit contrôler les médias pour s'assurer que sa propagande effacent les revendications de l'opposition. Si cela ne suffit pas, d'autres méthodes existent comme la répression systématique des manifestations, l'incarcération arbitraire, les procès politiques bidons et les camps de travail. Une mesure extrême est la voie morbide par l'assassinat et l'exécution mais ce dernier cas de figure nécessite un contrôle total de la société.

 

Une autre méthode de contrôle est le népotisme : mettre des membres de la famille et des amis aux postes-clés tels que les médias, la police, l'armée, la justice, etc. Cela permet certes de s'assurer une loyauté théorique où un membre de la famille risque de tout perdre en cas de changement de régime mais cela pénalise l'activité étatique car tous ne sont pas compétents pour exercer la fonction à laquelle ils ont été nommés. Le Zimbabwe est un bon exemple : ses terres fertiles font de ce pays un grenier alimentaire mais suite à une politique catastrophique menée par des proches du Président, le pays est ruiné et la majorité de la population souffre de la famine.

 

Arriver au pouvoir est difficile mais le conserver est un combat au quotidien, le moindre incident semblant insignifiant peut devenir la raison principale de la destitution. Et comme tout dictateur ne peut régner éternellement, il doit trouver une solution pour sa succession. Pour cela, il peut soit laisser le choix à son parti ou à l'armée qui prendra le soin de désigner le successeur parmi les candidats les plus prometteurs (ou les plus facilement manipulables), soit il décide d'instaurer une succession familiale comme si c'était une monarchie (Corée du Nord, Syrie, Azerbaïdjan, République démocratique du Congo). Comme pour les origines d'une dictature, il existe des raisons propres à chaque pays, le dictateur pouvant par exemple décider de mettre fin à sa dictature pour réinstaurer la monarchie (Espagne après la mort de Franco), accepter une transition démocratique (Birmanie) ou s'enfuir et laisser le pays se changer par lui-même (Tunisie).

 

La dictature sous différentes facettes

 

Tout comme la démocratie, la dictature est une notion universelle mais diverse. Il n'existe pas qu'un seul type de régime dictatorial, chaque pays dispose du sien avec ses propres modalités. Il existe donc plusieurs variantes dont les citoyens mélangent parfois les terminologies. Petit éclaircissement.

 

Nous parlons beaucoup de régimes autoritaires et totalitaires. Dans les deux cas, il s'agit bien d'une dictature en raison de la mainmise du pouvoir sur les institutions et les attaques répétées contre les opposants. Cependant, il y a une différence fondamentale entre les deux.

 

L'autoritarisme désigne un mode de dictature où le régime contrôle le pays en laissant les citoyens agirent comme bon leur semble tant qu'ils ne remettent pas le pouvoir en question. Parfois, les partis d'opposition sont autorisés mais subissent une discrimination dans leur représentativité médiatique, politique et juridique.

 

Le totalitarisme vise le contrôle total de la société où l'Etat (et le parti unique) cherche à contrôler la vie des citoyens en leur imposant des obligations régissant leur quotidien. Le meilleur exemple pour illustrer le second exemple est la Corée du Nord où tous les citoyens sont obligés d'adhérer à la doctrine du Parti ouvrier sous peine d'être emprisonnés voire exécutés.

 

La principale différence se retrouve donc dans la liberté. L'autoritarisme laisse une certaine marge de manœuvre (mais pas trop). Le totalitarisme ne le permet pas.

 

Qu'en est-il de la monarchie? Pour rappel, il s'agit d'un régime politique dont le chef de l'Etat est nommé par le droit du sang suite à un ordre de succession dans la dynastie. Ceci reste théorique car toutes les monarchies n'ont pas de dynastie et procèdent donc autrement (nomination du successeur, élection, rotation entre souverains, chef d'Etat étranger). La similitude s'observe sur la durée du règne qui s'exerce souvent jusqu'à la mort ou l'abdication du souverain. Or, les dictateurs règnent souvent jusqu'à leur mort, leur retraite ou leur éviction. Quelle différence entre la monarchie et la dictature?

 

La monarchie n'est pas un système politique mais un régime. Elle peut être autoritaire où dans ce cas elle est dite absolue si le souverain ou sa famille exerce l'ensemble des pouvoirs (même théorique), elle est démocratique lorsqu'elle est dite constitutionnelle où le souverain accepte de limiter son pouvoir, voire de l'abandonner, selon la Constitution de son pays.

 

Un autre différence est la légitimité de la dynastie. Elle peut provenir de la fondation du pays par la famille régnante (Qatar, Arabie saoudite, Liechtenstein) ou de la nomination par un conseil (Belgique) alors que les dictateurs arrivent au pouvoir souvent par les manières citées plus haut.

 

Donc non, un souverain n'est pas toujours un dictateur, tout dépend du pays qu'il dirige. Pourquoi est-il malgré tout à la tête du pays jusqu'à sa mort et non durant un mandat?

 

Souvent, il agit en tant que symbole d'union nationale, surtout dans un pays comprenant de nombreuses nationalités. Bien que les raisons justifiant son maintien au trône diffèrent d'un pays à l'autre, il peut aussi assurer une forme de stabilité où il participe à l'alternance des majorités gouvernementales. Donc, un dictateur qui reste au pouvoir jusqu'à sa mort est-il aussi un gage de stabilité étatique? Pas tout à fait.

 

Le dictateur se trouve sur un siège éjectable dont il ignore qui appuiera sur le bouton. En réalité, la dictature est instable car elle peut tomber à tout instant si le dirigeant et son parti n'ont pas les moyens d'affronter les aléas pouvant déstabiliser leur pouvoir. Ainsi, il peut rester au pouvoir pendant des décennies tout comme il peut être chasser au bout de quelques années.

 

L'une des principale cause de son départ est la disparition de légitimité justifiant son maintien à la tête du pays par ceux qui lui ont permis son accession. L'armée peut décider de le renverser pour le remplacer par un autre plus conciliant ou plus compétent. Le parti peut aussi décider de sa destitution avec l'aval des cadres, des ministres et des parlementaires. Enfin, le peuple qui a au départ l'a acclamé peut demander du jour au lendemain son départ. Face à cela, le dictateur dispose de deux options : s'accrocher au pouvoir, quitte à provoquer une répression voire une guerre civile, ou démissionner avec à la clé un exil ou une peine de prison.

 

Dans les deux cas, le problème de la succession se pose. Certains dictateurs remettent la décision à leur parti ou à l'armée, d'autres désignent un membre de la famille ou le vice-président. Mais ceux qui n'y pensent pas n'imaginent pas l'instabilité que cela peut générer. Lorsque Staline est décédé sans avoir désigné de successeur, une lutte interne dans le Parti communiste eut lieu pour désigner le futur Secrétaire général. Cela a abouti à des coups bas avec des exécutions à la clé.

 

Contrairement aux idées reçues, la dictature n'est pas un gage de stabilité mais au contraire génère une instabilité permanente suite à un possible changement brutal dont ni l'issue, ni les conséquences sont connues. Ce risque est atténué dans les pays ayant adopté un système politique dont nous en avons déjà parlé précédemment.

 

Dictature contre démocratie : que choisir?

 

Précédemment, nous avons critiqué la démocratie représentative, les lacunes et les abus qu'elle génère. Cependant, le but n'était pas de discréditer ce système mais de montrer les faiblesses et d'y apporter des pistes afin de la réformer. En aucun cas, il ne fut question de l'apologie de la dictature. Disons-le déjà à l'avance, il n'y a pas de réponse à cette question.

 

Le problème est la distinction entre une vraie démocratie et une vraie dictature. Il n'y a pas de définition internationale officielle sur ces deux systèmes, seulement des définitions théoriques de la part de chercheurs scientifiques employant plusieurs critères pour la classification. A cela s'ajoute la perception d'un gouvernement sur le système d'un autre, l'un dira qu'il s'agit d'une dictature tandis que l'autre répondra qu'il s'agit d'une démocratie différente de son accusateur. D'autant qu'un gouvernement peut du jour en lendemain se retrouver à la frontière des deux, reprenant des critères propres à la démocratie et à la dictature.

 

Chacun des deux systèmes comportent des avantages et des inconvénients. La démocratie est considérée comme lente dans le processus décisionnel, ne respecte pas toujours la volonté des électeurs et ne permet pas de garantir la continuité d'une politique qui fonctionne bien. La dictature ne garantit en aucun cas la liberté ni les réformes pour une société meilleure tant que le dictateur restera au pouvoir.

 

Le problème dans les sociétés occidentales est de considérer la démocratie comme le seul système politique viable au monde malgré les défauts cités précédemment en supposant que c'est toujours meilleur qu'une dictature. La réponse peut surprendre mais ce n'est pas toujours le cas.

 

En géopolitique, un principe veut qu'une dictature forte soit préférable à une démocratie molle. Lorsque je disais qu'une dictature était source d'instabilité en raison d'un possible changement violent, une démocratie installée brutalement, sans préparation ni volonté, à travers le souhait d'un ou plusieurs acteurs étrangers l'est encore moins. Il ne faut pas oublier que chaque pays dispose de ses propres traditions, cultures, histoires, etc. La démocratie, telle que nous la connaissons aujourd'hui, est un concept récent difficilement applicable dans les pays qui ne l'ont jamais connue.

 

La Guerre en Irak de 2003 visait l'instauration d'une démocratie à l'américaine dans une dictature militaire dans l'espoir que celle-ci serve d'exemple à l'ensemble du Moyen-Orient. Un fiasco déjà préparé avant son lancement. Le gouvernement étatsunien ignora les configurations du pays, sa situation communautaire et l'instabilité que leur projet entrainerait. Pour résumer, il ne s'est jamais demandé si ce pays était prêt pour la démocratie qu'elle n'a jamais désirée. Aurait-il mieux fait d'attendre le Printemps arabe en Irak? On ne le saura jamais.

 

La meilleure réponse à la question de départ est donc d'y répondre au cas par cas, chaque pays étant unique. Il n'existe pas de concept universel de gouvernance, chacun dispose de sa propre vision de sa société.

 

Au Zimbabwe, la République est sur le point d'écrire une nouvelle page, les Zimbabwéens décideront de leur avenir. Démocratie? Nouvelle dictature? Dictature maquillée en démocratie? Qui héritera du trône du Dictateur?     

 

Sources :

 

Cours universitaires, Chapitre 2 : les formes du pouvoir politique, http://www.cours-univ.fr/cours/licence/droit/licence-1-droit-science-politique-3.html

Encyclopedia Universalis France, Dictature, https://www.universalis.fr/encyclopedie/dictature/

http://www.dictateurs.com/