Indépendance et changement de carte pour plus tard.

Drapeau des indépendantistes catalans, souvent arboré lors des manifestations.
Drapeau des indépendantistes catalans, souvent arboré lors des manifestations.

Ces derniers jours, l'actualité espagnole se concentre essentiellement sur la crise catalane où la Catalogne, région ayant un statut lui accordant une large autonomie, menace de proclamer son indépendance suite à un référendum jugé illégal par la Cour constitutionnelle, organisé dans des conditions anormaux et avec des résultats en faveur de l'indépendance ne reflétant pas la réalité.

 

Ceci n'est pourtant pas nouveau. La Catalogne faisait déjà partie, avec la Flandre et l'Ecosse, des régions ayant la plus haute velléité séparatiste dans l'Union européenne. Ce qui pose problème dans ce contexte est que le bras de fer entre les gouvernement central et les indépendantistes a tendance à dégénérer. Entre répression policière et coup de force politique, rien ne semble privilégier la voie diplomatique, pourtant demandée par la majorité des unionistes espagnols. Cependant, derrière tout cela se cachent des enjeux politiques, diplomatiques, économiques voire internationaux.

 

Comprendre les mouvements du cavalier seul

 

Qu'est qu'on entend par indépendance? Il s'agit d'une décision politique où une région existante ou créée illégalement suite à un événement soudain déclare ne plus vouloir rester dans l'Etat et souhaite former le sien.

 

Il faut comprendre que tous les Etats ont leur propre histoire. Certains se sont formés par l'unification nationale (Allemagne, Italie) ou fédérale (Suisse, Tanzanie), la conquête (Arabie saoudite), l'indépendance d'anciennes colonies européennes où les régions administratives forment les Etats d'aujourd'hui, la construction artificielle via une institution internationale (Israël, Libye), la sécession (Belgique, plusieurs pays des Balkans) ou encore la reconstruction historique (Pologne).

Donc, analyser le phénomène d'indépendance d'un pays ne permet pas de le comparer avec un autre car non seulement l'histoire est différent mais les raisons le sont aussi.

 

Le principal motif est l'affirmation de l'appartenance ethnico-culturelle à une nation ayant déjà existée avant la création de l'Etat. En effet, un Etat n'est pas toujours homogène, il abrite différentes nationalités réparties en régions ou autre appellation administrative. Sauf que leur formation ne s'est pas toujours réalisée avec l'aval des différentes nations qui le composent. Cela vaut pour celles qui ont été intégrées par la force ou par les circonstances aujourd'hui disparues, que ce soit via les arrangements dynastiques, le front commun pour la sécession ou encore la création artificielle. Souvent, décliner l'identité nationale pour affirmer celle de la région est l'argument phare pour l'indépendance avec pour principale motivation la défense de la culture, de l'identité, de la langue et du patrimoine.

 

Mais cela ne suffit pas toujours pour justifier la séparation, il faut parfois un moment déclencheur pour enclencher la procédure. L'économie est une raison souvent évoquée pour les régions prospères qui considèrent l'Etat central comme un parasite volant les ressources produites pour les distribuer à d'autres entités moins performantes. L'indépendance doit donc servir à sauvegarder la production de richesses pour ne servir que le peuple qui y contribue. L'économie peut même servir de principale raison sans même qu'il n'y ait d'attache identitaire derrière le souhait d'indépendance. L'exemple le plus significatif est l'Italie où le parti séparatiste Lega Nord (Ligue du Nord) œuvre pour diviser le pays en deux en formant dans la moitié nord la Padanie et laisser à l'Italie les régions sud plus pauvres. Ici, il s'agit bien du souhait de mettre fin à la solidarité nationale où les régions favorisées doivent soutenir les plus défavorisées.

 

L'histoire peut aussi servir de raison pour proclamer l'indépendance. Il peut s'agir par exemple de régions administratives qui ont autrefois revendiquer leur indépendance lors de l'effondrement d'un pays mais qui ne leur a pas été accordée. C'est le cas du Kurdistan où, selon le Traité de Sèvre, il fut prévu la formation du pays des Kurdes suite à l'effondrement de l'Empire ottoman mais le Traité de Lausanne, signé au lendemain de la proclamation de la République turque, décida de le répartir entre quatre pays (Turquie, Irak, Iran, Syrie). Cette répartition génère encore des conséquences aujourd'hui avec les troubles dans le Kurdistan turc et surtout avec le référendum dans la partie irakienne qui, comme en Espagne, n'a pas de soutien national ni international. Un autre exemple important est l'effondrement de l'URSS où les quinze républiques socialistes soviétiques sont devenues des Etats mais certaines entités ont souhaité profiter de la chute pour tenter de devenir à leur tour des Etats, comme l'Abkhazie en Géorgie et la Tchétchénie en Russie.

 

Enfin, la séparation peut intervenir sans véritables attaches ethniques ou économiques. Il peut s'agir d'une contestation politique visant à marquer son opposition au gouvernement central pour défendre leur idéologie ou une appartenance culturelle parfois étrangère. Ce cas particulier se retrouve en Ukraine où deux républiques autonomes ont été proclamées à Donetsk et Lougansk suite  à la révolution de Maïdan de 2014 ayant provoqué la chute du gouvernement pro-russe du président Viktor Ianoukovytch  au profit d'une coalition pro-occidentale dirigée par Petro Porochenko. Or, les régions orientales sont plus proches de la Russie que de l'Union européenne et face à ce que les séparatistes considèrent comme un coup d'Etat, ceux-ci ont décidé de former leurs propres républiques. A ce jour, celles-ci ne sont pas reconnues (ni même par la Russie pourtant accusée de les soutenir militairement) et tous les projets d'unification ont échoué.

 

Un cas plus extrême existe, c'est la raison sécuritaire. Une région qui se considère en danger en restant dans l'Etat peut demander son indépendance pour constituer le sien en estimant que cela permettra d'épargner à sa population la répression du pouvoir central. Le dernier Etat-membre de l'ONU, le Soudan du Sud, put obtenir ce statut en raison de la guerre civile entre les populations nord arabo-musulmane et sud noire de confession catholique. Bien que cette république se retrouve plongée dans une guerre interne, elle ne doit plus affronter les forces soudanaises en tant que rebelles mais en tant que pays reconnu internationalement.

 

Analyser un mouvement d'indépendance n'est pas aisée. Il ne faut pas seulement se concentrer sur une raison ni sur l'évènement présent. Il faut aussi regarder dans le passé, comprendre les éléments ayant favorisé cette poussée indépendantiste, découvrir si la région fut autrefois un pays (principalement un royaume ou une principauté) avant d'être annexée.

 

Etre seul n'est pas sans conséquences

 

Proclamer son indépendance n'est pas un acte anodin. Quitter un Etat apporte des avantages mais aussi des inconvénients et des sacrifices. Afin d'éclairer la situation, regardons de plus près les conséquences.

 

Les avantages sont :

 

-          La souveraineté étatique peut s'exercer sans contrainte d'un pouvoir central ayant son avis sur les mesures prises;

-          Tous les pouvoirs autrefois exclusifs au gouvernement central reviennent au nouvel Etat comme les affaires étrangères et la finance;

-          Les recettes perçues reviennent intégralement au nouvel Etat;

-          L'identité dispose d'une meilleure protection face aux politiques multiculturelles;

-          Il peut s'agir d'une réparation historique, la joie d'acquérir un statut demandé mais refusé.

 

Les inconvénients sont :

 

-          La nécessité d'établir de nouvelles fonctions publiques pour assumer les nouveaux pouvoirs;

-          L'établissement de nouvelles relations internationales pour se faire connaitre dans le monde;

-          Les relations diplomatiques avec l'Etat dont il fut autrefois une région peuvent être tendues, avec de possibles mesures coercitives;

-          Convaincre les investisseurs de (re)venir;

-          L'indépendance peut entrainer des pertes économiques et d'emploi si la région ne dispose pas de fonds nécessaires;

-          L'accès à certains marchés doit être reconquis ou remplacé;

-          Quitter un Etat revient à quitter les institutions internationales dont il fait parti, la procédure d'adhésion doit donc s'engager pour y retourner.

 

Comme vous pouvez le constater, il faut tenir compte de plusieurs critères pour analyser les conséquences. Or le principal problème des indépendantistes est de ne s'attacher qu'à certains points sans imaginer l'impact que ceux-ci peuvent représenter. A cela s'ajoute l'euphorisme pouvant rapidement faire place à la douche froide lorsque la réalité les rattrapera et la croyance que l'indépendance résoudra tous les problèmes.

Cela dit, il est impossible de définir l'indépendance comme une bonne ou une mauvaise idée car tout dépend des circonstances qui la justifie.

 

Un nouveau membre dans la communauté internationale

 

Proclamer son indépendance ne suffit pas pour devenir un Etat ou, du moins ne suffit plus, en raison des normes internationales mises en place pour réguler la composition de la communauté internationale. Petit retour dans le passé.

 

Autrefois, la notion d'Etat n'existait pas. Il s'agissait de pays mis en place selon la fondation par des peuples autrefois nomades qui se sont sédentarisés puis agrandis à tel point qu'ils ont étendu leur territoire en empiétant sur d'autres plus faibles. A l'époque, avoir un pays n'était pas toujours un gage de survie car la guerre fut une pratique courante voire quotidienne. La norme internationale était claire : seuls les plus forts décidaient des pays qui pouvaient survivre.

 

Cette logique conquérante fut la base de la colonisation en Amérique, en Asie et en Afrique où la force militaire fut mélangée à la supériorité civilisationnelle des nations européennes colonialistes qui, sans l'avoir envisagé sur le moment, ont changé la carte du monde à tout jamais. Lors de la création des colonies, il ne fut jamais envisagée la question de l'indépendance en raison des doctrines raciales où l'être humain non-européen est considéré comme inférieur et donc ne pourrait se passer de son colonisateur ou des colonies principalement peuplées de colons (indésirables en métropole) restés fidèles à leur pays d'origine. Or, l'indépendance des 13 colonies britanniques d'Amérique du Nord en 1776 qui formeront les Etats-Unis d'Amérique mit à mal cette croyance de fidélité car une pression fiscale trop élevée peut provoquer une colère populaire allant jusqu'à exiger un pouvoir distinct de la métropole.

 

Tandis que la majorité des pays d'Amérique ont proclamé leur indépendance, l'Europe est régit depuis la fin des guerres napoléoniennes par le Congrès de Vienne où les cinq grandes puissances continentales (France, Grande-Bretagne, Prusse, Autriche et Russie) ont instauré un système d'équilibre dont ils sont les garants pour maintenir la paix. Sauf que celui-ci ne prenait pas en compte la montée du nationalisme poussant plusieurs peuples à exiger leur indépendance. Face à cela, le traitement s'exerça au cas par cas, certains l'ayant obtenu (Grèce, Belgique, Bulgarie, Serbie, Roumanie, Monténégro, Albanie), d'autres non (Pologne). Il ne s'agissait pas encore d'un Conseil de Sécurité européen mais reprit le principe que la formation de nouveaux Etats dépendait du bon vouloir de puissances qui défendent des intérêts internationaux.

 

Cette logique s'effondra avec la Première guerre mondiale lorsque les grandes puissances vont s'affronter à travers des alliances puis par l'effondrement de quatre empires (Russie, Autriche-Hongrie, Allemagne et Empire ottoman). Une fois encore, la question de l'indépendance fut traitée au cas par cas selon le désir des vainqueurs puis par les circonstances permettant à certains vaincus de reprendre des territoires perdus. Suite à cela, la carte fut une fois de plus modifiée avec l'apparition d'Etats venant de peuples réclamant leur indépendance dans leur empire (Pologne, Tchécoslovaquie, les peuples slaves qui formeront la Yougoslavie) et l'échec des mouvements indépendantistes (Ukraine, Républiques du Caucase). La première tentative institutionnelle de figer cette situation, la Société des Nations, échoua en raison de la difficulté à prendre des décisions à l'unanimité et de contrer les désirs de certains pays dictatoriaux d'étendre leurs possessions territoriales. Face à cela, la SDN fut impuissante puis affaiblie par le retrait des membres s'opposant aux résolutions à leur encontre, ce qui provoqua sa chute.

 

La fin de la Seconde Guerre mondiale va aboutir à la création d'une nouvelle institution internationale encore présente aujourd'hui, l'Organisation des Nations Unies. Bien que les vainqueurs aient encore modifier la carte selon leurs désirs (dont la séparation de l'Allemagne en plusieurs zones d'occupation qui donneront naissance aux deux républiques allemandes), la formation de nouveaux Etats est plus difficile. A présent, l'objectif final de l'indépendance est de devenir membre de l'ONU pour être traité équitablement au niveau juridique parmi les autres Etats. Or, l'accès est difficile car il existe toute une procédure pour le devenir. L'article 4 de la Charte des Nations Unies précise que tout Etat peut demander son adhésion s'il respecte les valeurs défendues par l'ONU puis reçoit un vote favorable de l'Assemblée générale sur base des recommandations du Conseil de Sécurité. C'est ici que ça coince : selon le site de l'ONU, les recommandations nécessitent l'aval de neuf des quinze membres du Conseil, y compris les cinq membres permanents (France, Royaume-Uni, Etats-Unis, Russie et Chine) qui disposent d'un veto. Cela signifie donc qu'un seul Etat peut décider de rejeter la demande avant même que l'Assemblée générale ne se prononce par majorité de 2/3. Cela ressemble beaucoup au Congrès de Vienne à la différence qu'il s'étend à l'échelle mondiale et revêt une forme institutionnelle plutôt que militaire. Mais surtout, il remet les intérêts internationaux au cœur du débat car certains membres permanents ont une raison de bloquer l'adhésion de nouveaux membres.

 

Ainsi, le Kosovo et la République turque de Chypre du Nord ont peu de chance d'adhérer tant que la Russie soutiendra la Serbie et Chypre, Taiwan ne le sera jamais en raison du principe d'une seule Chine défendue par la République populaire de Chine, la Palestine restera un Etat non-membre tant que les Etats-Unis soutiendront Israël.

 

Mais alors, comment l'ONU est-elle passée de 50 à 193 membres malgré les restrictions évoquées?

 

La Charte reprend un principe souvent évoqué par les indépendantistes : le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Déjà présent dans la SDN, cette terminologie est source de problème en raison d'absence de lecture officielle de la part de l'ONU. Pris à la lettre, elle peut signifier que chaque population étant reconnue comme un peuple pourrait demander son indépendance au nom de l'auto-détermination. Sauf que cette logique va à l'encontre d'un autre principe important du droit international qui est l'intangibilité des frontières où seul l'Etat peut décider de les modifier via une sécession ou un échange. Or si une région devient un Etat, cela signifie qu'il faut l'accord du gouvernement et des parlements centraux pour entériner le découpage frontalier.

 

Former un nouvel Etat est donc très difficile car ce n'est pas le peuple qui décide seul de son avenir. Le droit international reconnait au moins trois critères primordiaux pour l'existence d'un Etat : un territoire sur lequel s'exerce le pouvoir (souvent le territoire administratif), une population vivant sur celui-ci et une autorité reconnue.

Cependant, deux autres critères cruciaux sont à respecter pour devenir indépendant: la reconnaissance internationale (surtout de la part des membres permanents du Conseil de Sécurité) et l'accord de l'Etat sur lequel va naître le nouveau.

 

Ce genre de situation s'est produit dans deux circonstances particulières : l'indépendance des colonies américaines puis asiatiques et africaines, et l'éclatement de pays multiculturels (URSS, Yougoslavie). Leur adhésion à l'ONU ne posa aucun problème car la seconde moitié du XXème siècle marqua la fin du monopole mondial des puissances européennes au profit des Etats-Unis et de l'Union soviétique qui étaient en faveur de la décolonisation.

 

Le dernier membre à l'avoir rejoint, le Soudan du Sud en 2011, pu adhérer car le référendum organisée pour l'indépendance fut reconnu aussi bien par la communauté internationale que par le pouvoir soudanais qui reconnut les résultats majoritairement pour la constitution d'une république indépendante.

 

Le monde changera-t-il un jour?

 

L'indépendance n'est pas un phénomène neuf. Depuis longtemps, les carte ont changé, les frontières ont bougé suite aux conquêtes puis à l'effondrement de royaumes et d'empires. Les puissances européennes changèrent la face du monde en implantant des colonies sur des territoires non-reconnues comme appartenant à un autre pays pour ensuite donner naissance sans s'y attendre à de nouveaux Etats.

 

Les grandes guerres européennes ont modifié une nouvelle fois la carte à travers la volonté de certaines puissances victorieuses et vaincues. Puis vint la grande vague de décolonisation et l'effondrement d'Etats à la fin de la guerre froide. Quant à l'ONU, elle reprit des principes internationaux qui rendent plus difficiles les demandes d'indépendance tout en entretenant le flou entre le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et l'intangibilité des frontières.

 

Dorénavant, ce ne sont plus les guerres qui accouchent de nouveaux pays, ce sont les accords internationaux et surtout la volonté de quelques Etats qui déterminent le futur des peuples. Soit ils deviennent indépendants en assumant les nouvelles fonctions leur incombant, soit il restent dans l'Etat qu'il souhaite pourtant quitter tant que celui-ci ne leur donnera pas l'autorisation ou continuera de vivre.

 

 

Pour le cas de la Catalogne, seul l'Espagne peut décider de son sort. Et en raison de la position dure du Premier ministre Mariano Rajoy, la République catalane n’apparaîtra pas aussitôt sur la carte.