Capitalisme néolibéral : le prix du profit.

Chaque jour, les journaux nous le rappellent : la société va mal. Terrorisme, licenciement, hausse des impôts, baisse des avantages sociaux, diminution du pouvoir d'achat. Le temps de la belle vie a touché à sa fin depuis quelques décennies. La pauvreté est un mal présent depuis le début de la civilisation mais la croyance d'une société prospère permettant à chacun de pouvoir vivre avec ses moyens ne s'est jamais réalisée car cela ne règle pas automatiquement le problème des inégalités sociales et ne le résoudra jamais.

 

Ce qui est surtout alarmant est que ce problème tend à s’accroître non pas par l'appauvrissement de l'Etat mais par la captation du pouvoir par des minorités économiques où l'argent est devenu un vecteur de contrôle de masse. Celui qui détient le capital peut décider du destin de centaines voire de milliers de personnes qu'il n'a jamais rencontrés sous une autre forme que de données numériques. Ce qui devait être la philosophie du nouvel ordre mondial est devenue le pire des fléaux entretenu par la vaine promesse de l'autorégulation via la force du temps. Ce mal, ou devrais-je dire sa forme corrompue par l'orgueil et la cupidité, porte un nom : le capitalisme néolibéral.

 

L'argent et le pouvoir : un mariage à haut risque

 

Le capitalisme n'est pas un concept inventé par l'Homme moderne. Il apparaît déjà dès l'aube de la civilisation où les royaumes devaient accumuler des ressources, principalement alimentaires, pour pouvoir subvenir aux besoins de leur population. Les greniers étaient des lieux importants pour se protéger des conditions hivernales réduisant les exploitations agricoles. Personne n'a dit que le capitalisme était seulement l'accumulation d'argent, il s'agit à la base de ressources élémentaires dont la pratique se distingue des tribus dite archaïques où la récolte permet la subvention au jour le jour.

 

Aristote distingua deux formes de capitalismes qu'il appela les chrématistiques[1]. La première, dite naturelle, a pour objectif de subvenir aux besoins de la famille. La seconde, dite commerciale, ne vise qu'à la création de richesses et donc qu'à s'enrichir. Or, le philosophe grec condamna cette seconde forme en la considérant comme contre-nature. Selon lui, l'accumulation de richesses ne vise pas à répondre aux besoin sociaux, la nécessité de stocker n'est pas un moyen d'accomplir l'objectif de subvention mais est devenu l'objectif à atteindre. Ses idées ne sont pas restées lettres mortes, elles démontrent que, dès l'Antiquité, le capitalisme néolibéral tel que nous connaissons aujourd'hui va à l'encontre des valeurs sociales. Cependant, il n'est pas contre le libéralisme car il a conscience de l'impossibilité de l'autarcie, il considéra l'échange comme une manière de répondre aux besoins qu'une famille ne peut régler par ce qu'elle possède.

 

Malheureusement, la philosophie grecque a laissé place au triomphe des valeurs du plus fort. La sagesse n'a jamais été la méthode de prédilection pour convaincre la masse. Ce fut souvent par les armes, la répression, l'obscurantisme, les guerres et la géopolitique que les modes de vie se sont imposés et ce constat s'applique encore aujourd'hui. Le néolibéralisme actuel s'imposa par le cours de l'Histoire et a relégué les écrits d'Aristote dans l'oubli au profit du chant des économistes ... et de leurs cris d'alarme.

 

Aujourd'hui, nous faisons totalement l'inverse de la chrématistique naturelle : la société actuelle encourage l'accumulation des richesses, les milliardaires sont adulés et se permettent d'interférer voire de se lancer en politique, ceux qui ont réussi à fonder des entreprises pesant des milliards sont considérés comme des exemples à suivre sans révéler au grand public les pratiques douteuses employées pour y parvenir. Le capitalisme d'aujourd'hui s'est construit par la survalorisation de l'argent à tel point que nous sommes les seuls être vivants à ne pas pouvoir vivre sans en avoir!

 

Cette absurdité ne date pas hier, elle a permis l'émergence d'une classe autrefois reléguée en seconde zone voire crainte en raison de son possible pouvoir d'influence : la bourgeoisie. De l'Antiquité jusqu'aux Temps contemporains, la société fonctionna par la division des classes : esclave, étranger, citoyen, noble, monarque, religieux, militaire, etc. Au fil des siècles, celles-ci ont commencé à disparaître avec l'abolition de l'esclavage et la fin des ségrégations raciales. Mais ce qui marqua le tournant (symbolique) fut la Révolution française de 1789 où l'aristocratie des nobles n'est plus le système politique de prédilection. Ce sont les citoyens qui détiennent le pouvoir, ou du moins la bourgeoisie qui parvint à faire sauter le verrou bloquant leur accession à la fonction suprême. L'importance de ce symbole est que le pouvoir ne vient plus de la religion ni du sang, mais d'où alors? Soit de l'armée soit de l'argent qui génèrent tout deux de l'influence se transformant en source de légitimité.

Le bouleversement de l'ordre social a laissé place à une autre non plus basée sur le statut mais sur les moyens financiers : paysans, ouvrier prolétaire, bourgeois, marchand et autres fonctions rémunératrices. Certes, ce changement (je ne dis pas évolution, l'exploitant a changé de visage) ne s'est pas réalisé soudainement partout dans le monde mais il a ouvert la voie à la classification que nous connaissons aujourd'hui, à savoir la focalisation du statut social par les revenus : pauvre, classe moyenne, riche et autre variantes peu joyeuses.

 

Suite à cette Révolution, ce n'est plus au nom du Roi ou du Seigneur que l'Homme travaille. C'est pour remplir le capital du bourgeois se permettant de profiter de son poids politique pour imposer de dures conditions de vie à ses travailleurs. Le salariat devint la nouvelle forme d'esclavage, suffisamment faible pour ne pas permettre à l'ouvrier d'évoluer socialement ni de trop peser dans le budget de l'entreprise. Or, la démocratie de départ était censitaire, ce qui signifiait que seules les personnes fortunées disposaient du droit de vote [2]. C'est par des manifestations et des grèves que la situation changea et permit l'évolution des mentalités via l'élargissement de l'électorat vers les ouvriers qui constituèrent leur parti ouvrier pour défendre les conditions de travail. Nous ne devons pas oublier que c'est par le sacrifice de beaucoup d'entre eux (à l'époque, tirer dans la foule était autorisée) que nous jouissons des droits repris dans le code du travail, aujourd'hui menacé.

 

Suite aux deux guerres mondiales, les pays d'Europe furent ravagés et leurs économies servirent à la production d'armes puis aux reconstructions. Tant de richesses gâchées par le désir d'une minorité monarchique (pour la première) et fasciste (pour la seconde) produites par la sueur des travailleurs et la traite des populations des colonies (se rapprochant parfois de l'esclavage).

 

Les Etats-Unis d'Amérique sont devenus la première richesse mondiale au détriment des pays européens. S'étant enrichi lors des deux guerres mondiales, ils peuvent se permettre de s'étendre au-delà des limites idéologiques de la doctrine Monroe pour viser des intérêts mondiaux. Mais pour y parvenir, il fallait affronter un adversaire de taille ayant déjà un pied dans la moitié est de l'Europe : l'Union des Républiques socialistes soviétiques. Deux géants s'affrontèrent par guerres interposées mais aussi par choc idéologique : libéralisme prônant le retrait de l'Etat au profit de la liberté contre la captation des richesses par l'Etat au nom du peuple. L'effondrement de l'URSS ne fut pas seulement un bouleversement géopolitique, il est aussi idéologique car il symbolisa la victoire du monde libre libéral face à la dictature socialiste oppressive. C'est de cette victoire étasunienne que la conviction du capitalisme libérale est devenue la norme à suivre au nom de la prospérité. Même si le point commun entre les deux grandes puissances furent la possibilité d'imposer leurs volonté par les richesses accumulées qui leur permirent d'entretenir une armée considérable et d'effectuer des opérations à l'étranger, les raisons de la défaite soviétique ne se limitent pas seulement à l'aspect économique.

Aujourd'hui, l'argent reste le nerf de la guerre. Les Etats-Unis ont un nouveau rival économique : la Chine. En raison des réformes libérales entreprises après la mort de Mao, le communisme laissa place au capitalisme dirigé, une forme de socialisme où les entreprises peuvent se développer grâce aux aides publiques mais en contrepartie doivent se plier aux décisions du Parti communiste chinois.

 

Bien que le monde ait changé, l'équation resta la même. L'argent reste un vecteur de pouvoir. D'abord capté par une élite aristocratique, le capital financier s'est déplacé vers le bas pour revenir vers le haut via la formation d'une nouvelle élite non plus noble mais financière. Cela vaut aussi pour les Etats où ce sont les plus riches qui font la loi (internationale) car ils peuvent se permettre d'entretenir une armée considérable et de financer de multiples missions à l'étranger. Si Aristote voyait le monde d'aujourd'hui, il retournerait volontiers dans sa tombe pour ne plus jamais en sortir.   

 

L'argent fait le pouvoir : un constat destructeur

 

Le système économique actuel se base sur un accord réalisé en 1989 appelé le Consensus de Washington qui vise à instaurer le néolibéralisme tel que nous connaissons aujourd'hui sous l'impulsion des principales figures ultralibérales de l'époque, le Président étasunien Ronald Reagan et la Première ministre Margaret Thatcher. Pour résumer, le Consensus considère que :

 

-          L'Etat est un frein au développement économique et donc doit se mettre en retrait en diminuant les dépenses publiques, en respectant l'équilibre budgétaire, en adoptant leurs mesures fiscales, en respectant le droit de propriété, en réduisant les règles pour une économie déréglementée et en favorisant la privatisation car les entreprises privées sont plus performantes;

-         Les pays doivent s'ouvrir au monde par l'encouragement de la compétitivité des exportations et du taux de change,  la diminution des taxes douanières et la captation des investissements étrangers[3].

 

L'accord prône l'inverse de la gouvernance socialiste. L'Etat est un obstacle pour la prospérité des entreprises générant des revenus et donc doit être réduit à sa fonction la plus basse, c'est-à-dire aux pouvoirs régaliens. Pour faire court, tous les Etats doivent réfléchir comme les Etats-Unis d'Amérique pour ne pas finir comme l'Union soviétique. Lisez les principaux points, c'est pratiquement le style gouvernemental made in USA.

 

Les Etats-Unis sont le pays le plus riche mais, comme les entreprises "exemplaires", sa fortune ne s'est pas bâtie par bonne conscience. Il faut rappeler que l'abolition de l'esclavage est arrivée plus tardivement qu'en Europe, que le pays a profité des deux guerres mondiales pour s'enrichir grâce aux prêts et aux ventes d'armes et surtout que sa politique libérale prône une faible intervention étatique signifiant que l'argent est la seule raison de vivre où ceux qui n'en ont pas sont voués à mourir ou à tomber dans la criminalité. Ce constat social montre le grand paradoxe car le pays le plus riche est aussi celui qui compte le plus de sans-abris ruinés par des banques sans scrupules, un accident de travail ou de vie ou pire, le retour de la guerre en Irak de 2003 où la promesse d'un avenir meilleur de la part de l'armée ne s'est jamais réalisée. Non, le Consensus de Washington n'est pas la recette miracle de la prospérité, il est l'accomplissement de la doctrine étasunienne visant la promotion du développement libéral démesuré au détriment de la solidarité sociale qui prône la dignité de chaque citoyen en leur offrant des aides pour survivre. Pour mieux comprendre, regardons de plus près les deux points cités plus haut.

 

L'Etat n'est pas un frein si ses mesures visent à protéger ses citoyens contre l'arrivée de produits dangereux pour la société et les pratiques déloyales. Ainsi, les réglementations se doivent de s'assurer que les produits respectent les normes d'hygiène et de fabrication pour ne pas impacter la santé des consommateurs ni leur sécurité (principes défendus par l'UE permettant une restriction du marché intérieur). Pas de poulet au chlore ni de jouets en mauvais état.

 

Croire que la concurrence se réalisera dans les bonnes règles est tout sauf réaliste. En incitant la concurrence, il faut s'attendre à des comportement déloyaux par des politiques d'incitation à la délocalisation et à l'exploitation de sa propre population.

 

Les deux points ont un lien : dans tout cela, c'est le travailleur qui est perdant. L'Homme devient une donnée numérique. Une statistique selon le gouvernement, un simple numéro selon l'entreprise. La croyance de l'attraction des multinationales qui viendront créer de l'emploi pour diminuer le chômage et apporter la prospérité est un beau mensonge. En réalité, les multinationales sont des bombes à retardement. Elles peuvent créer des centaines d'emplois, elles peuvent aussi les reprendre lorsque la direction considère qu'il est temps d'aller voir ailleurs. A cause du retrait de l'Etat, les plus grandes sociétés ont les moyens de s'imposer dans chaque pays libéral. Lorsqu'elles licencient, les gouvernements n'ont aucun moyen de pression pour les inciter à rester, seulement des incitants financiers par une réduction de la fiscalité et des aides aux développement dont ce sont les travailleurs qui paieront doublement la facture lorsque cela ne suffira pas à les maintenir.

 

Malheureusement, le Consensus de Washington a permis la création d'un monde où ce ne sont plus les Etats qui détiennent le pouvoir mais les multinationales qui en ont profité pour s'affranchir des réglementations étatiques. La déréglementation de l'économie a permis l'émergence d'un pouvoir parallèle à travers le lobbying, la corruption, les montages fiscaux pour payer le moins d'impôts et la liberté de sacrifier des milliers de vies pour assurer le confort d'une poignée. Aristote n'aurait jamais souhaité voir cela. La soif de l'argent a détruit la sagesse des philosophes.

 

La crise économique : une occasion ratée

 

Lorsqu'une machine tourne trop vite, elle finit par s'enrayer. C'est ce qu'il s'est passé en 2007 suite à la crise des subprimes. Les banques ont instauré un système permettant aux ménages à faible revenu de contracter un prêt à faibles taux mais variables. Or, avec la hausse  des taux d'intérêt et la diminution du pouvoir d'achat, les ménages ne pouvant plus rembourser voient leur maison saisie par la banque. Cependant, les subprimes ne sont plus rentables, les banques ont mélangé et vendu ces prêts par la titrisation non seulement entre les établissements du pays mais aussi dans le monde. Lorsque la bulle éclata, toutes les banques qui y ont participé (parfois sans le savoir) se sont retrouvées avec des titres toxiques et surtout ruinées. Ceci génère un climat de méfiance où décrocher un prêt revient à gagner à la loterie nationale. Il n'est désormais plus permis de prêter, les entreprises ont plus de difficulté à investir et n'ont d'autre choix que de licencier pour maintenir la compétitivité.

 

Et voilà qu'arrive le plus gros paradoxe de l'histoire du Consensus de Washington : alors qu'il a martelé que les Etats doivent se retirer de l'économie, ils deviennent le salut des banques. Sous la pression du coût de la faillite s'élevant à des dizaines de milliards en raison des "garanties", les gouvernements sont obligés d'injecter des liquidités et donc de s'endetter (un autre paradoxe du Consensus car le FMI interdit l'endettement élevé). Et qui paient la facture? Les citoyens!

 

Pour payer les banques, il faut des contreparties. Cela passe par la diminution des dépenses publiques et la hausse d'impôts. Difficile d'avaler l'addition pour ceux qui ont perdu leur emploi en raison de la crise. Aujourd'hui, ceci est rangé dans les tiroirs du passé, du moins selon les économistes. Qu'en est-il aujourd'hui?

 

A priori, les Etats devaient en tirer des leçons. Cette crise a démontré les limites de la déréglementation économique. Laisser faire n'importe quoi à n'importe qui peut entrainer des catastrophes. Et qu'ont-ils appris de cela? Malheureusement pas grand chose.

 

La crise est une occasion ratée de remettre en cause le système mondial tant défendu et acclamé. Au lieu de réfléchir sur le retour de l'Etat dans les affaires bancaires, l'UE et les Etats-membres ont prôné la politique du pansement visant à colmater les trous budgétaires plutôt que punir les responsables de la crise. L'humiliation est autant plus grande que l'Islande a retiré sa candidature pour l'adhésion à l'UE car cette île a réalisé l'inverse par la condamnation des dirigeants bancaires et des hommes politiques ayant trempé et depuis, son économie s'en est mieux sortie. Certes, nous ne pouvons comparer un nain et un bloc mais le principe reste le même : les coupables paient et pas les innocents, une politique déficiente nécessite une réforme.

 

En attendant, nous continuons d'entretenir le néolibéralisme comme si la crise ne fut qu'un accident de parcours malgré que les économistes parlent d'une possible nouvelle crise.

 

Et tiens, à propos d'eux, pourquoi sont-ils si écoutés? Le budget est devenue la priorité. Dorénavant, les gouvernement gèrent un pays comme s'ils dirigeaient une entreprise avec des coûts et des bénéfices. Or, le principe d'un pays est de défendre la population contre les menaces intérieures et extérieures, d'assurer que chaque citoyen puisse vivre décemment grâce à un emploi stable et des services publiques performants. Les économistes ne perçoivent que l'aspect financier en prônant des mesures visant à maximiser les bénéfices sans penser aux conditions ni aux conséquences sociales de leur instauration. Prenons par exemple la théorie de l'avantage comparatif de David Ricardo. Celui-ci considère que deux pays peuvent commercer même s'ils ne disposent pas d'un avantage absolu (terme venant d'Adam Smith)  en favorisant un domaine de production pour échanger les produits contre ceux qu'ils auraient pu produire par eux-mêmes. Ainsi, le pays qui décide de maximiser son secteur le plus productif gagne plus par l'échange que par la production sans réaliser de pertes. Appliqué au commerce international, cela revient à dire qu'un pays doit se spécialiser dans un secteur pour favoriser ses exportations. Sauf qu'il ne tient pas compte de la configuration sociale car appliquer la théorie ricardienne revient à supprimer la liberté de choisir son emploi (mesure appliquée en ... Union soviétique) car l'Etat peut décider de limiter l'accès aux emplois à faibles rentabilités ou offres pour maximiser ceux qui pourraient lui rapporter gros. Or, dans les sociétés libérales, la liberté de choisir son travail fait partie des droits fondamentaux et constater que l'Etat privilégie les importations plutôt que la production nationale génère du mécontentement. Ricardo ne tient pas compte des produits nationaux ni de leur qualité mais seulement de la quantité. Aujourd'hui, cette théorie est dépassée par la mondialisation en raison des coûts supplémentaires liés au transport et aux taxes douanières[4].

 

La quantité. Le facteur le plus important depuis l'industrialisation. Le principe de la production n'est plus la conception de produits les plus performants mais le nombre de produits d'en fabriquer et d'en vendre. Un produit de très haute qualité est inaccessible à toutes les bourses, il faut donc en produire plusieurs de moindre qualité pour qu'il soit vendable à la plus grande masse de consommateurs. Sauf que la quantité a donné naissance au "culte du plus" : produire plus, extraire plus, travailler plus, sacrifier plus. La seule exception est les moyens alloués pour y parvenir. Ainsi les entreprises augmentent leur productivité non pas en engageant plus de personnels mais au contraire en diminuant les effectifs et demander aux restants de travailler pour deux. La qualité se retrouve sacrifiée au profit de la quantité, c'est ainsi que se résume le consumérisme encouragé par le néolibéralisme.

 

Quant au gouvernement, il emprunte la même voie. Pour que les citoyens soient productifs, ils doivent travailler plus en accordant des allègements du code de travail aux entreprises et aux multinationales (sources de profit selon le Consensus de Washington, ndlr), travailler plus longtemps en allongeant l'âge de la pension tout en réduisant les coûts sociaux comme le suggèrent les entreprises (donner de l'argent à ceux qui en produisent, retirer en à ceux qui en profitent). Mais ce que le monde politique ne comprend pas, c'est que le libéralisme et le socialisme vont de pair. Comment un travailleur n'ayant plus accès aux soins de santé peut-il travailler plus longtemps alors que le vieillissement n'augmente pas ses capacités physiques? Comment demander à un pensionné de vivre avec une pension réduite sans qu'il ne puisse avoir les moyens de consommer alors que la consommation représente une part importante du PIB? Pareil pour le chômeur car comment pourrait-il trouver un emploi s'il dispose moins de moyens pour en chercher un en sachant que les personnes resteront plus longtemps à leur poste? A force de vouloir réaliser des économies partout, cela entraîne des absurdités contreproductives où la diminution d'un budget augmentera celui d'un autre, l'aide sociale devient une charge financière et surtout le gouvernement se transforme en conseil d'administration.

 

L'argent corrompt le pouvoir : la folie guette

 

A force de vouloir gagner plus, le gouvernement et les entreprises sont déjà prêts à de nombreuses folies. La plus connue est l'exploitation des populations venant de pays en voie de développement, obligées de travailler dur et longtemps sans sécurité pour un salaire de misère. La République populaire de Chine est la destination de prédilection avec sa démographie disparate mais abondante et son régime communiste tolérant les conditions de travail proches de l'esclavage, permettant ainsi d'attirer des entreprises peu soucieuses de la vie humaine. Le plus interpellant en ce moment est que la Chine est elle-même victime de la délocalisation lors de hausses de salaire (même s'il reste inférieur aux pays dits développés) car il existe d'autres destinations d'exploitation : Vietnam, Cambodge, Bangladesh. Mais les entreprises demandent plus, toujours plus. Les gouvernements doivent suivre leurs exigences s'ils souhaitent les attirer. Qui se souvient encore du Luxleaks lorsque l'ancien Premier ministre luxembourgeois négociait des arrangements fiscaux pour inciter des multinationales à venir s'implanter au Luxembourg? Ou encore les intérêts notionnels, un système de déduction fiscal d'application en Belgique, à présent pointés du doigt car seules les plus grandes entreprises en profitent réellement à tel point que son concepteur, Bruno Colmant, demande qu'il soit changé[5]? Reste qu'il est économiste et non politicien, ce qui signifie qu'il n'a pas le monopole de sa propre création...

 

Imaginez un seul instant que les Droits de l'Homme ne soient plus d'application. Cela ouvrirait la voie vers une série de dérives qui feraient saliver les PDG avares de profits. Parmi celles-ci figureraient :

 

-        Le rétablissement de l'esclavage pour ne plus payer les ouvriers. Certes cela pourrait contribuer à la baisse du chômage mais cela reste de la poudre aux yeux. Déjà avec un salaire faible, l'employé ne peut pas contribuer activement à la consommation, imaginez alors s'il ne peut carrément plus rien acheter. Ce seraient les ASBL qui s'en trouveraient impactées et demanderaient davantage de dons publics et privés pour soutenir la demande croissante. Oubliez donc l'esclavage;

-         L'eugénisme, principe immoral visant à euthanasier ceux qui coûteraient trop chers à la société, comme les malades incurables, les infirmes ou encore les personnes âgées n'étant plus capables d'agir. Cette pratique fut appliquée sous l'Allemagne nazie où de nombreux malades mentaux furent exécutés par des militaires. Dans une société où chaque économie compte, les gouvernements sont tentés de diminués les dépenses publiques, y compris dans la santé. Prions pour qu'ils ne franchissent pas le cap;

-        Le choix de l'emploi par l'Etat, pratique ayant existé sous l'ère soviétique, retire aux citoyens la liberté de choisir leur vocation professionnelle en privilégiant le marché de l'emploi. Cela viserait à supprimer les études jugées inutiles car peu rémunératrices et obliger les étudiants à prendre des filières garantissant un emploi selon les prévisions établies par le gouvernement. Bien que cela existe en partie par les formations pour les emplois en pénurie, la liberté de choix reste inscrite dans les droits fondamentaux dès l'inscription sur le marché de l'emploi.

 

Toutes les mesures citées là-dessus, sauf la dernière, ne seront jamais appliquées en démocratie mais démontrent l'existence d'idées faisant froid dans le dos et peut-être même déjà envisagées par des entrepreneurs. Qui sait?

 

Le néolibéralisme : une idée à changer

 

L'Homme a un don ou devrai-je plutôt dire une malédiction : il a l'art de dénaturer des projets partant sur de bases nobles pour les transformer en problèmes sans y apporter de solutions concrètes.

 

Le capitalisme néolibéral préconise le retrait de l'Etat pour l'enrichissement personnel en partant du principe que l'entreprise qui travaille dur se doit de réclamer le fruit de son travail sans que quiconque ne se permet de le lui retirer pour ne lui laisser qu'un maigre revenu. Sauf qu'à force de préconiser l'affaiblissement étatique, le Consensus de Washington a non seulement permis l'accession d'une nouvelle caste s'affranchissant du contrôle gouvernemental mais aussi le retour de la bourgeoisie suite à l'incitation à réduire les budgets au nom de l'équilibre budgétaire. Le dernier grand exemple reste les accords de libre-échange visant l'abolition des barrières douanières et des réglementations trop contraignantes. L'Etat se croit gagnant dans la prospérité, il se retrouvera perdant à long-terme et dépouillé par les multinationales, comme toujours.

 

Face à cela, le clivage gauche-droite s'accentue. La gauche souhaite recentrer l'intérêt public sur le travailleur en demandant une meilleure répartition fiscale et des conditions de travail plus respectueuses. La droite ne souhaite pas de changement pour éviter d'impacter le revenu des entreprises. En réalité, pour qu'une société fonctionne, les deux branches doivent coopérer.

 

Privilégier trop la gauche revient à instaurer un Etat-providence qui nécessite une économie forte pour endosser les lourdes dépenses publiques, le rendant fragile en cas de crise économique. Le socialisme ne peut s'instaurer sous peine d'entraver la liberté d'investir et d'innover. Il est même prouvé que trop de taxes tue la taxe, les citoyens se doivent de conserver un salaire décent sans que l'Etat ne prélève trop.

 

Privilégier la droite revient à favoriser les inégalités sociales par le refus d'aider ceux qui sont dans la misère, même si ce n'est pas de leur faute. Le libéralisme ne peut s'instaurer sous peine d'établir la ploutocratie où seuls les riches ont un pouvoir décisionnel par le lobbying et l'accès aux institutions démocratiques.

 

La véritable solution est de trouver un juste milieu entre libéralisme et socialisme car les deux vont de pair. Cela ne peut se retrouver dans un parti centriste mais dans tous les partis de gauche et de droite. Il faut du libéralisme pour garantir la prospérité économique sans sacrifier le bien-être de la population et du socialisme pour s'assurer que les travailleurs bénéficient des droits et d'une protection sociale sans que cela n'alourdissent le budget des entreprises ni de l'Etat. Malheureusement, le côté pervers de la démocratie est l'incitation à la confrontation plutôt qu'à la coopération.

 

En attendant, le néolibéralisme est toujours d'application. Il est entretenu par des économistes employant des théories soit dépassées soit jamais testées auparavant, des gouvernements regardant trop les statistiques et pas assez la population, des multinationales pratiquant le lobbying pour protéger leurs intérêts tout en agitant le spectre de la délocalisation.

 

Le nouvel ordre mondiale s'est établi, il n'est pas prêt de changer. Le pouvoir n'est plus seulement politique, il est surtout devenu économique. Tant que l'argent restera l'essence de la vie humaine, toute réforme restera impossible. Des contestations ont éclaté depuis des années mais n'ont pas abouti à des résultats prometteurs.

 

Pouvez-vous imaginer le chaos mondial qui se déroulera le jour où l'argent n'aura plus aucune valeur? Un scénario apocalyptique à méditer.


[1] POTIER Jean-Pierre, D'Aristote à Thomas d'Aquin, ses.ens, 26 juillet 2007, http://ses.ens-lyon.fr/articles/les-grands-themes-25448#section-0

[2] Evolution du droit de vote en Belgique, IBZ, http://www.elections.fgov.be/index.php?id=423

[3] "Les dix commandements du consensus de Washington", Manière de voir, Le monde diplomatique, n°75, 2004, http://www.monde-diplomatique.fr/mav/75/A/56184

[4] La théorie de l'avantage comparatif, Andill, 9 juillet 2013, https://www.andlil.com/la-theorie-de-lavantage-comparatif-152211.html

[5] LAMBRECHT Laurent, Colmant : "L'impact des notionnels a été surestimé", La Libre, 17 février 2016, http://www.lalibre.be/economie/libre-entreprise/colmant-l-impact-des-notionnels-a-ete-surestime-56c35c363570b1fc112f6435