Humanité contre avidité : les problèmes bénéfiques

Lorsque l'Homme est confronté à un problème, la logique naturelle veut qu'il trouve un moyen de le résoudre tout en minimisant les externalités négatives. Précédemment, nous avons parler de la coopération internationale où plusieurs Etats acceptent de s'unir pour régler ensemble une problématique commune mais certains partenaires refusaient d'accomplir leur part du travail ou préconisait le retrait.

 

Dans cet article, nous explorons une phénomène plus préoccupant : l'avidité de certains groupes financiers et/ou politiques considérant le problème comme plus profitable que la solution. Pour cela, ils trouvent un intérêt à maintenir les maux de la planète tant que cela leur permet de s'enrichir et de se maintenir au pouvoir. Comment expliquer cette injustice?

 

Cream, la source d'inspiration

 

Le sujet de cet article ne vient pas d'un thème d'actualité mais d'une vidéo visionnée il y a une semaine. Cream de David Firth [1] [attention spoiler sauf si vous ne comprenez pas l'anglais] raconte l'histoire d'un scientifique étant parvenu à concevoir une crème capable de régler tous les problèmes médicaux, personnels et de la planète, d'améliorer les personnes et leurs objets. Malheureusement, certaines personnes fortunées et puissantes n'apprécient pas le succès de ce produit et décidèrent de l'anéantir en répandant de fausses rumeurs sur sa nocivité, sa production et sur son créateur à l'aide de reportages médiatiques et de rapports officiels. Suite à cela, la crème est devenue illégale et impopulaire et tous les effets bénéfiques apportés à la planète furent anéantis. Par la suite, une nouvelle crème sort en prétendant être meilleure que la précédente (reste à le prouver) tandis que le créateur du produit miracle est condamné à la prison à vie suite aux fausses charges contre lui. [fin du spoiler]

 

Cette histoire illustre parfaitement l'aberration et le paradoxe de l'avidité humaine : le bénéfice à tout prix prône la destruction de toute perspective meilleure de l'humanité si cela peut engendrer des pertes ou aller à l'encontre des objectifs fixés.

 

Ici, nous allons illustrer cette réflexion via plusieurs exemples divisés en deux groupes : la finance et la politique.

 

L'argent, source de bonheur et de malheur

 

Nous avons aussi vu que l'Homme cherche à maximiser ses bénéfices en réduisant les pertes et les coûts que cela peut engendrer. Tous les facteurs ne sont pas économiques, il faut aussi inclure la réglementation et les principes régissant la conduite de l'entreprise. Le souci est que tous les directeurs ont sacrifié les deuxièmes au nom du profit à tout prix via l'exploitation de la population locale, la mainmise des ressources naturelles voire la corruption active auprès des élites du pays. Aux avides reste la première à régler pour augmenter leur marge de bénéfice. Pour cela, il existe un canal officiel et légal mais peu moral : le lobbying. Quand je vous dis que tous les facteurs de croissance ne sont pas économiques, c'est parce qu'il arrive un moment où il n'est plus possible d'investir pour pérenniser l'activité. Il faut donc abaisser les barrières restrictives pour aboutir au libre-échange et s'attaquer aux normes empêchant un produit de pénétrer le marché désiré.

 

Prenons par exemple la santé. Les chercheurs mènent une lutte acharnée pour trouver un remède préventif face aux virus qui évoluent chaque année, rendant caduque la solution précédente. Normalement, toutes maladies nécessitent un vaccin pour empêcher sa propagation et trouver un médicament pour soigner les infectés. C'est vrai mais pas pour les raisons escomptées.

 

La charité pour soigner les malades dans les pays peu développés n'est pas l'objectif de tous. N'oublions pas que dans le monde d'aujourd'hui, tout est une question de business, un produit se vend comme un bien de consommation avec un marché à viser. Le problème est que les remèdes coûtent chers, tellement chers qu'ils sont inaccessibles pour ceux qui n'ont pas les moyens, c'est-à-dire les populations pauvres. Au final, pourquoi développer un vaccin pour ceux qui ne sauront pas les commander? Autant en produire pour les aides humanitaires et les pays industrialisés ayant les fonds nécessaires pour enrichir les laboratoires.

 

Et le pire dans tout cela? Il faut attendre que des touristes issus de pays riches soient atteints par une maladie existant depuis des décennies pour enclencher la course aux vaccins. Pas question de coopérer, le business exige le secret d'entreprise, c'est chacun dans son coin car le gâteau est tellement gros et délicieux qu'il serait dommage de le partager.

 

Mais les affaires ne font pas de discriminations, les pauvres ne sont pas les seules victimes de l'avidité du commerce. Qui se rappelle de Martin Shkreli? Il fut un moment l'un des hommes les plus détestés des Etats-Unis. Son crime? Après avoir racheté les droits d'un médicament contre le sida, il a décidé d'augmenter le prix de 13,50 à 750$; soit une augmentation de 5450%! Et ce pour un produit avec un coût de production quasi faible. La nature de cette décision laisse peu de place au doute : l'appât du gain a justifié ce choix. Dire que cela permettrait d'investir dans la recherche a convaincu peu de gens. S'il a eu les moyens pour racheter le produit, alors il les a aussi pour l'investissement. Surtout qu'une telle augmentation est préjudiciable car non seulement il réduit l'accès aux plus démunis mais elle donne une image négative de la marque, permettant à la concurrence de jouer là-dessus en mettant en vente un médicament peu coûteux et donc plus accessible.

 

Et le gouvernement dans tout cela? N'oublions pas que c'est le ministère de la santé qui doit donner son accord pour autoriser la vente d'un médicament sur base de tests menés par le fabricant lui-même pour prouver l'efficacité du produit et le risque faible d'effets secondaires. Mais certaines affaires sur des médicaments nocifs autorisés à la vente remettent en question l'impartialité du ministère. Vous avez peut-être entendu parler de remèdes prescrits à des femmes enceintes qui ont abouti à des malformations physique (comme l'absence de bras) ou mentale (l'autisme) suite aux effets secondaires sur le fœtus alors que la consigne ne déconseillait pas son utilisation durant la grossesse. Ou encore des médicaments contre de faibles maladies mais au final provoquent des crises cardiaques. Comment expliquer leur commercialisation? Soit l'ignorance des effets secondaires, soit un accord avec des dessous de tables. Dans les deux cas, la firme pharmaceutique s'est enrichie sans avoir pris les précautions nécessaires. Elle a accompli son objectif de base.

 

Un autre exemple est l'environnement. Je le dis déjà à l'avance, toutes les entreprises ne sont pas des partisans de la pollution de masse. Le courant actuel est la protection de la planète et s'y inscrire augmente l'image de la firme et peut même réduire les coûts entraînés par la pollution. Mais toutes ne respectent pas cela, les bénéfices passent par l'exploitation des ressources naturelles pour aboutir à des produits finis. Cela passe par la déforestation massive, l'accaparation des réserves d'eau, la production d'énergie fossile pour l'électricité et le carburant, les exploitations minières avec de la main d'œuvre pas chère, etc.

 

Pas facile de respecter l'environnement lorsque cela peut nuire à l'entreprise. Le lobbying et la complicité d'Etat sont de bonnes solutions pour garantir les activités lucratives, surtout lorsque l'entreprise est détenue par des proches du pouvoir ou est nationalisée. Dans ce cas, la première option n'est pas nécessaire.

L'argument phare contre les normes environnementales est la menace des pertes face à la concurrence mondiale. Argument maintes fois utilisé par les Etats-Unis pour justifier leur non-participation et encore employé par le Président pour se retirer du dernier accord. Ce même Président qui rouvre une mine de charbon malgré l'abandon progressif de la part des autres producteurs et consommateurs en raison de sa pollution et des solutions alternatives plus efficaces.

 

Que se passera-t-il le jour où les énergies solaire, éolienne et hydroélectrique deviendront la norme? Adieu les énergies fossiles et nucléaire avec les emplois et la source d'enrichissement de certains groupes financiers et d'Etat. Est-ce une mauvaise chose pour eux? Seulement s'ils ne sont pas préparés. S'accrocher à un seul produit peut être dangereux, surtout s'il s'agit d'un monopole étatique où le gouvernement repose essentiellement sur celui-ci. C'est ce qui est arrivé au Venezuela où la chute des cours pétroliers a entrainé une grave crise économique devenue politique. Cela peut arriver aux monarchies du Golfe vivant principalement du pétrole et du gaz. Face à cela, une seule solution : la diversification des activités. La Chine veut promouvoir les énergies vertes mais n'allez pas croire que c'est par acquis de conscience, c'est pour mieux écraser la concurrence internationale. Requins oui, mais plus propres. En attendant, les Etats bénéficiant des sources d'exploitation en profitent pour les exploiter ou vendre les parcelles à des entreprises qui ne respectent pas toujours les normes environnementales ou de sécurité car trop coûteuses malgré les milliards de bénéfice.

 

Ne pas respecter les normes environnementales est mal, faire croire que nous les respectons est pire. Cela s'appelle le greenwashing (écoblanchissement ou verdissage) et consiste à construire une campagne de marketing basée sur le respect de l'écologie afin d'améliorer l'image de l'entreprise. Sauf qu'il s'agit parfois de la poudre aux yeux pouvant se retourner contre elle-même si la vérité est découverte. Comment une entreprise peut-elle justifier son combat en faveur de la planète alors que des rapports officiels issus des bureaux démontrent l'existence d'investissements dans des secteurs polluants ... dont le charbon? La manipulation et le mensonge, deux points communs entre la finance et la politique.    

 

Agir pour le bien d'une partie de l'humanité

 

La politique dispose d'instruments  pour régler les problèmes dans le monde mais elle ne le souhaite pas les utiliser. Les Etats ont suffisamment de moyens financiers pour endiguer la pauvreté mais cela n'est pas une priorité. La réalité est cruelle : chacun tente de maximiser ses intérêts nationaux en créant puis en entretenant des problèmes ou simplement en s'assurant qu'une solution ne soit pas apportée aux problèmes déjà existants.

 

La géopolitique est l'une des raison expliquant pourquoi le monde ne tourne pas rond. Les grandes puissances ont des intérêts à défendre à l'échelle mondial et n'hésiteront pas à empiéter sur d'autres pays si cela permet d'avancer leur zone d'influence. La Russie est bien placée pour le savoir. Sa principale crainte est de voir la zone d'influence européenne et étasunienne à ses frontières via l'UE et l'OTAN. Face à cela, elle n'hésite pas à déployer son armée dans des pays frontaliers pour générer de l'instabilité, troublant ainsi le rapprochement avec l'Occident. La Géorgie et l'Ukraine se sont laissés tenter par l'OTAN, la Russie les a rappelés à l'ordre et tant pis si cela engendre des conflits gelés ou en cours, l'intérêt des petits est négligeable.

 

Vous comprenez à présent pourquoi la guerre en Syrie est toujours en cours. Plutôt que de s'unir contre les groupes terroristes, chaque Etat se déchire et menace mutuellement de se tirer dessus. La Syrie, un pays devenu une arène diplomatique active en quelques années de guerre civile. Arène est le mot parfait pour décrire la situation, chaque participant avance avec ses propres objectifs. Le gouvernent syrien veut anéantir tous les mouvements rebelles, indépendantistes et terroristes, la Russie et l'Iran souhaitent le maintien du régime, les Etats-Unis veulent lutter contre les terroristes et si possible la fin du gouvernement, l'Arabie saoudite veut le départ du Président au profit d'un gouvernement sunnite, la Turquie ne veut pas d'un Kurdistan syrien autonome et si possible le départ du Président. Quant à Israël, il souhaite protéger son territoire. Bref, chacun tente de tirer la couverture de son côté jusqu'à la déchirer. En attendant, ils oublient qu'il y a aussi des civils qui ne recherchent qu'une chose : la paix. Les Etats participant la souhaitent aussi, mais la leur, pas celle des autres.

 

Les grandes puissances ne sont pas les seules à exploiter un problème pour parvenir à leurs fins, cela est à la portée de tout Etat sachant tirer son épingle du jeu de poker diplomatique en s'invitant à une partie de Risk sans y être convié. Prenons l'Azerbaïdjan, cette ancienne république soviétique du Caucase en conflit avec l'Arménie suite au problème du Nagorno-Karabakh. L'animosité envers le voisin arménien est l'un des points communs entre l'Azerbaïdjan et la Turquie. Or, lorsque les présidents turc et arménien ont amorcé un rapprochement via un match de football, le président azéri considéra cet événement comme problématique. Comment la saper? Simple : faire pression sur la Turquie pour inclure la question du Nagorno-Karabakh comme critère de rapprochement en sachant qu'une solution ne pourra être trouvée. Et cela a fonctionné. Tant que les relations turco-arméniennes seront mauvaises, l'Azerbaïdjan disposera toujours d'un allié de poids pour régler ses affaires internationales.

 

Et à l'intérieur d'un pays? C'est pareil. La paix est mauvaise pour ceux qui prêchent la haine, la séparation, la stigmatisation et le repli sur soi. Ces individus, appelés les prêcheurs de haine, considèrent que la conciliation est inexistante et font du vivre-ensemble l'ennemi à abattre. Dans le contexte actuel, ce terme fait référence aux imams réalisant des prêches radicales pour convertir les musulmans modérés au salafisme voire au terrorisme. Ceci n'est qu'une partie de la réalité. Il faut observer la question religieuse dans son ensemble et non composante par composante par risque de minimiser le problème général en se focalisant sur la religion à discréditer. Or, toute religion et idéologie comprend une communauté modérée et une autre baignée dans les formes extrêmes. Donc ce sont tous les milieux idéologiques qui doivent être analysés pour éviter le sectarisme divisant le monde en deux. Entre le fidèle et le mécréant. Entre le patriote et le collabo. Car oui, les partis populistes et de l'extrême droite emploient les mêmes méthodes que ceux qu'ils combattent : l'instrumentalisation par la peur de ne plus être membre de la communauté élue en embrassant le rapprochement avec l'ennemi plutôt que la lutte armée pour l'anéantir. Ainsi se nourrissent les mouvements ultranationalistes et ultraconservatrices. Quand je vous disais que tout est bon pour acquérir du pouvoir, la haine et le rejet sont de puissantes armes aux munitions quasi inépuisables tant qu'il y aura des cerveaux peu développés à moissonner.

 

Le bonheur de quelques uns fait le malheur du reste

 

L'optimisme d'un monde meilleur après la Guerre froide s'est rapidement estompée. La réalité a rattrapé le rêve de paix mondial. Et cela restera un fantasme tant qu'il existera des personnes considérant la guerre, la manipulation, le pouvoir (financier et politique sous toutes leurs formes) comme nécessaire pour entretenir la place de dominant face au reste, aux personnes réduites à l'état de données et de nombres.

 

Le partage des ressources est peu probable, l'orgueil et la cupidité existent depuis la civilisation et se sont manifestées sous divers aspects : la colonisation, les conquêtes, les razzias, la menace d'une intervention militaire, les sanctions internationales.

 

Comment créer une harmonie entre communautés alors que le repli sur soi devient la norme au fil des ans? Comment s'accorder sur un objectif commun face aux objectifs personnels de chacun?

 

Que ce serait-il passé si la Crème existait réellement? Elle aurait pu mettre fin à cette problématique tout comme elle aurait pu l'aggraver en incitant les avides à l'utiliser pour poursuivre leur quête de pouvoir. Elle aurait alors un pouvoir non-imaginé par son créateur : celui de révéler la face monstrueuse de l'Homme.


[1] En raison d'absence de réponse de la part de l'auteur sur l'autorisation de publication, la vidéo n'est pas publiée sur le site. Vous pouvez cependant la visionner sur Youtube.