Eurovision : une vision à se boucher les oreilles.

Caricature de Boussard. http://rboussard.canalblog.com/archives/2014/05/11/29852880.html
Caricature de Boussard. http://rboussard.canalblog.com/archives/2014/05/11/29852880.html

L'Eurovision, ce concours de chant international où chaque pays dévoile son artiste pour prouver au reste de l'Europe qu'il existe des talents (ou pas). Ce concours est un événement européen annuel, célébré en grande pompe avec des décors digne d'une compétition de football, une présentation chique et un suspens à s'en mordre les doigts. Ca, c'est le côté glamour car derrière se cache une vérité plus dérangeante : mise en beauté poussée à l'extrême, nationalisme, politisation. Toutes des thématiques ne devant pas se trouver dans le concours mais hélas sont bien présentes en permanence.

 

Un carnaval teinté d'originalité ...

 

Vous voulez entendre des artistes chanter? Et bien la maison vous offre bien plus. Du délire, de l'originalité, de la provocation ou encore du ridicule. Ne remerciez pas les organisateurs, c'est à la charge des Etats-membres. Chaque candidat est libre de se vêtir de la manière qui lui plaise car, selon le règlement, tout est autorisé sauf l'utilisation d'animaux et la diffusion d'un message à caractère politique (nous verrons cela plus tard). La seule obligation mentionnée sur le site est le port du même habit pour toutes les représentations.

 

Cela signifie que tout le monde peut s'habiller comme il veut. Pour ceux qui ont loupé les fêtes de Carnaval, l'Eurovision vous réconfortera. Il y a de tout : singe, astronaute, pingouin, orque, robe LED, costume collant de super-héros, robot, fée, tenue traditionnelle, opéra, pirate, clown. Et je vous assure que toute la liste est authentique et bien incomplète, j'ai tapé "Pire costumes Eurovision" sur un moteur de recherche, les panoramas en valent la chandelle.

Les artistes pensent-ils pouvoir compenser la faiblesse de leur performance ou leur donner du dynamisme en misant sur la mise en scène? Lorsqu'on regarde les jeux de lumière, les images qui défilent, les habits qui changent en cours de prestation et les détails tape-à-l'œil, il y a de quoi s'interroger.

 

Prenons la Moldavie par exemple. Le groupe était déjà célèbre avant de jouer cette année grâce ... au saxophoniste. Epic Sax Guy, ça vous dit quelque chose? He bien, c'est lui. Après être devenu une icône du Net suite à sa prestation en 2010, il est revenu pour 2017. Sachant que les téléspectateurs votent indépendamment du jury, pensez-vous que son pays aurait fini troisième sans lui? Je n'insinue rien et ce n'est pas de la mauvais foi (la Belgique a terminé derrière la Moldavie, ndlr)

Et qui se rappelle du groupe finlandais qui a remporté l'édition 2006? Celui qui chanta du hard rock en costume d'orque et de démon? S'il y a bien une prestation à remémorer, c'est bien celle-là. Du feu qui sort de la hache, des ailes de chauve-souris se déployant dans le dos du chanteur, la voix de monstre. Un spectacle qui ne fut pas du goût de tout le monde. Outre les moqueries sur le choix vestimentaire, le groupe fut accusé d'incitation au satanisme, risquant la disqualification. La première victoire de la Finlande eut un goût amer pour les Finlandais, craignant d'être assimilés au lauréat.

 

Si le ridicule ne tue pas, il peut avoir des conséquences pour le pays. Cela a beau être un événement culturel, il s'agit aussi d'une compétition entre Etats.

 

... animé par le nationalisme ...

 

Lorsque vous regardez le public, vous vous attendez à une ambiance de concert. Des bras qui se lèvent avec des briquets allumés? Perdu. Les flammes sont remplacées par des smartphones et surtout par les drapeaux. Oui, une foire aux drapeaux. Les spectateurs rappellent à leurs candidats qu'ils sont là pour gagner, pas pour faire de la figuration (enfin si, mais pas que).

 

Ambiance de stade de foot garanti. Chaque candidat a la lourde responsabilité de ramener le trophée dans son pays et d'éviter l'humiliation, c'est-à-dire en comptabilisant le plus de points possible.

 

Et c'est là que se pose la question du marchandage. Existerait-il des accords entre pays pour s'attribuer les meilleurs notes? Ce serait une enquête digne de la FIFA (ambiance de foot comme je vous le disais tout à l'heure). Ce qui est sûr en revanche, c'est l'impact de la proximité frontalière et/ou culturelle. Souvent, les 12 points sont soit attribués au voisin, soit à un pays proche culturellement, soit à un des favoris de la compétition. Si ce n'est pas le cas, alors de bonnes notes, genre 8 ou 10 points, leur sont attribués. Il ne s'agit pas de favoritisme ou d'accords secrets mais d'une proximité de goût pouvant modifier les critères de qualité. Par contre, une mauvaise chanson reste une mauvais chanson, il n'est pas étonnant de voir certains pays avec un score ridicule. Donc non, il n'est pas possible de réaliser une carte des points. Et la prise en compte du vote des téléspectateurs à part entière (et non à 50% avec le jury) depuis 2016 modifie les pronostics. Rappelez-vous de ce que vous disais à propos d'Epic Sax Guy. Adieu la proximité, bonjour la popularité? Une hypothèse à confirmer dans les prochaines années à suivre.

 

Et l'Europe? C'est la perdante de la soirée. Chaque spectateurs et téléspectateurs se rappellent de quel pays il vient. Personne ne se dit que nous sommes tous européens. Au fait, cette réflexion n'est plus valide car deux pays non-européens y participent : Israël depuis 1973 (année du premier choc pétrolier et non, je n'insinue rien) et l'Australie depuis 2015. Le Maroc y a aussi participé mais seulement en 1980.

 

Au final, pourquoi regardons-nous l'Eurovision? Pour la musique ou les points? Pour les performances ou la victoire? Une fois de plus, la politique est présente et la suite confirmera cette sombre réalité.

 

... noyé par la politisation.

 

La culture et la politique vont toujours de pair lors des compétitions internationales. La première est utilisée par ou contre la seconde selon les acteurs qui en font usage. Les dirigeants peuvent employer l'Eurovision pour afficher une image correcte de leur pays ou pour dénoncer un problème concernant un autre avec qui ils ont un conflit. Il peut aussi s'agir d'un boycott de la part d'acteurs non-étatiques pour dénoncer les crimes de l'organisateur ou de plusieurs pays contre celui-ci ou un autre participant.

 

Le concours existe depuis 1956 et il n'a pas fallu attendre longtemps pour que le premier cas de politisation apparaisse.

 

Le premier geste politique eut lieu en 1964 lorsqu'un homme brandit une affiche demandant l'exclusion de l'Espagne et du Portugal en raison de la dictature en place. D'autres événements suivront : refus de la Grèce de participer en 1975 suite à l'invasion turque de Chypre; non-transmission de la performance israélienne en 1978 par plusieurs pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient suite au conflit israélo-palestinien; boycott contre le Royaume-Uni en 2003 qui a obtenu 0, officiellement à cause de sa prestation médiocre mais officieusement pour sa participation à la guerre en Irak; refus de la Géorgie de participer en 2008 suite à l'invasion de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud par la Russie (pays organisateur) puis la délégation géorgienne a accepté mais avec une chanson accusée d'être contre l'ancien président russe devenu premier ministre à l'époque; critiques de la part d'associations des Droits de l'Homme en 2012 contre l'Azerbaïdjan en raison des expulsions forcées pour la construction du palais accueillant le concours, ajoutez à cela le refus de l'Arménie de participer pour des raisons de sécurité (surtout lorsque le président azéri déclare que ses pires ennemis sont les Arméniens); victoire peu appréciée de la part de la Russie, de l'Ukraine et de la Biélorussie du candidat autrichien, habillé en robe avec une barbe, car l'homosexualité n'est pas bien perçue dans ses pays orthodoxes; contestation de la victoire ukrainienne en 2016 de la part de la Russie en raison du caractère politique de la chanson traitant de la déportation des Tatars sous l'ère stalinienne; interdiction de la Russie de participer en 2017 à cause du conflit dans l'Est de l'Ukraine.

 

Que fait l'Eurovision pour laisser de telles dérives se produire? Malheureusement, il ne peut rien y faire. Chaque pays a le droit de ne pas y participer, il écrit nul part dans le règlement que la participation des membres est obligatoire. En revanche, il est stipulé que les chansons et les gestes ne peuvent pas refléter des revendications politiques. Ainsi, lorsque la candidate arménienne a brandi en 2016 le drapeau du Nagorno-Karabakh, une région séparatiste azérie à majorité arménienne, elle a risqué l'exclusion. De même, lorsque l'Autorité palestinienne a appris que le drapeau palestinien figurait sur la liste des interdits (surement pour éviter de froisser Israël), elle a vivement exprimé sa colère.

 

Ses dernières années, la Russie fut au cœur des événements à caractère politique, que ce soit de sa part (boycott contre l'Ukraine, critiques contre le candidat autrichien Conchita Wurst) ou contre le gouvernement russe (invasion en Géorgie répondue par la chanson We don't wanna put in pouvant être comprise comme We don't wanna Putin). L'Eurovision est une vitrine pour rappeler à la Russie qu'elle a commis de mauvaises actions internationales. Cela va-t-il changer la position du gouvernement russe? Faut pas rêver.

 

L'Eurovision, c'est comme les Jeux olympiques : les pays mécontents et les organisations critiques à l'égard de l'organisateur feront tout pour afficher leur colère sous le regard impuissant des institutions responsables. La politique récupère tout pour afficher une meilleur image du pays ou dégrader celle des autres. Tout est bon pour la politisation.

 

 

La prochaine édition aura lieu au Portugal. Qui va le boycotter? Difficile à dire, cela dépendra des tensions (géo)politiques et des conflits à venir. Qui souhaitera boycotter le Portugal? Pratiquement personne. L'Espagne est le seul pays à avoir un problème avec l'organisateur en raison du village d'Olivenza, autrefois portugais mais est devenu espagnol depuis deux siècles, mais ceci n'a pas de quoi provoquer de vives querelles entre les deux pays.

 

Pour conclure, l'Eurovision parcourt l'ensemble de l'Europe et une partie du monde pour nous transporter dans un monde musical enchanté, à la découverte des différentes cultures du continent. Sauf que le pays enchanté promis par les organisateurs se transforme en une foire aux costumes avec des prestations assez étranges pour certains, rempli d'un public préférant la victoire de leur pays plutôt que le charme de la soirée, et noirci par la politisation qui nous rappelle que la Realpolitik ne se repose jamais.

 

 

Si tout se passe bien l'année suivante, vous ne m'entendrez plus jacasser sur ce sujet. Promis. Reste à convaincre vos chers hommes politiques de bien se tenir. Je ne peux donc pas vous garantir mon silence radio.