United Societies of Arming

Source: National Review
Source: National Review

Au moins une fois par semaine, vous entendrez la même actualité tragique : une fusillade a éclaté aux Etats-Unis d'Amérique. Comment cela peut-il encore arriver? se disent les téléspectateurs européens? Comment un pays démocratique investissant beaucoup dans la sécurité peut-il encore connaitre de tels événements tragiques?

 

A chaque drame la même courbe se dessine : une fusillade éclate, les services de sécurité et les ambulances interviennent, le monde politique s'y mêle en relançant le débat sur le droit de porter des armes, les associations et lobbies s'y mêlent à leur tour en diffusant le même message "Personne armée = personne sécurisée", des élus proposent une réglementation pour limiter la vente, les gens affluent vers les armureries pour en acheter avant que la restriction s'exerce, la proposition est rejetée en raison du 2ème amendement, et au final une nouvelle fusillade éclate. Rien ne se passe donc ... sauf pour les familles des victimes.

 

Ceci est une problématique qui gangrène la société étasunienne sans qu'une réponse ne puisse y être apportée. Comment est-il possible qu'un problème grave coûtant la vie à des milliers de citoyens ne soit pas résolu une fois pour toute? Question difficile, réponse compliquée.

 

Aux armes, citoyens!

 

Avant de parler de la société actuelle, il est intéressant de remonter à la source du problème : le Bill of Rights.

 

Faisons un bond dans le passé, de quelques siècles précisément. Lors de la guerre d'indépendance face aux troupes britanniques et leur allié allemand du Hesse, les habitants des 13 colonies doivent se constituer en milice pour se défendre. Les Pères fondateurs ont beaucoup insisté sur cette image du citoyen prêt à prendre les armes pour défendre son territoire. En effet, la liberté est le moteur de la révolution, le désir de se libérer des contraintes et de la tyrannie du souverain imposant sa loi injuste pour opprimer les faibles.

 

De là naîtra le principe que la liberté doit s'acquérir à tout prix, y compris par le sang. L'opprimé doit se battre pour devenir un Homme libre et le rester. Bien que la milice populaire se soit montrée inefficace face à une armée régulière durant la Guerre d'indépendance, cette idée est restée ancrée dans la rédaction de la Constitution, qui prévoyait une armée et une marine permanente, et du Bill of Rights, qui préconisait l'emploi de la milice. Les deux textes posent le problème de l'avenir militaire du pays : les Etats-Unis d'Amérique doivent-ils se doter d'une armée? La réponse est nuancée : oui mais pas trop forte car le pouvoir doit rester aux mains des institutions civiles pour éviter un éventuel coup d'Etat militaire, comme le connaîtront plusieurs républiques d'Amérique, et la milice reste la norme au nom de la défense d'un Etat libre.

C'est ainsi qu'intervient le second amendement du Bill of Rights. Les défenseurs et les détracteurs disent qu'il s'agit du droit de porter des armes. C'est à moitié vrai. Le texte dit :

 

« Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un Etat libre, le droit qu'à le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé. »

Cet amendement ne dit pas que le peuple peut porter une arme, il dit POURQUOI le peuple pourrait en porter une. C'est le pourquoi qui fait toute la différence. La véritable essence du texte tient de l'importance de protéger le pays et les libertés qu'il défend à travers une milice ayant le devoir de défendre le territoire face à toute menace, comme durant la Guerre d'indépendance. Pour cela, il doit avoir le droit de posséder une arme afin d'accomplir son devoir de milicien.

Or, pris dans le contexte d'aujourd'hui, cet amendement est caduc : les frontières avec le Mexique et le Canada sont pacifiées, la conquête de l'Ouest est achevée, il existe différents corps de défense étatiques et fédéraux, l'armée a gagné en importance au cours de la Guerre froide sans mettre en péril les institutions civiles. Pourquoi cet amendement est-il encore en cours d'application?

 

Ne Rien Abandonner, Nous Resterons Armés

 

Pour qu'une société démocratique puisse fonctionner correctement, il faut des procédures légales et une justice forte pour forcer les élus à s'y conformer. La réforme constitutionnelle n'échappe pas à la règle.

 

Pour que la mesure soit enclenchée, il faut que 2/3 des élus des deux chambres du Congrès ou 2/3 des Etats demandent une convention pour proposer des modifications. Celles-ci sont validées si 3/4 des élus des deux chambres du Congrès ou 3/4 des Etats approuvent selon la modalité proposée par le Congrès.

 

Force de constater que modifier la Constitution ou le Bill of Rights est difficile en raison des conditions contraignantes, surtout qu'elles forcent les Démocrates et les Républicains à trouver un terrain d'entente. C'est là que le problème se pose sur cet amendement : les Républicains sont réputés pour incarner les ardents défenseurs du droit de porter des armes, tandis que les Démocrates sont divisés entre la défense de ce droit et la nécessité de réglementer pour diminuer les dérives. Des élus républicains vont jusqu'à proposer une régression des normes contraignantes pour rendre la vente des armes totalement libre!

 

Cela aboutit à une absurdité, du point de vue européen : il est beaucoup plus facile d'acheter une arme qu'une bouteille d'alcool. Comment? La loi est claire à ce sujet : l'âge légale pour la consommation est de 21 ans et l'achat ne peut se réaliser sans montrer la carte d'identité au vendeur. L'achat d'une arme présente-elle les mêmes restrictions? Pas du tout! Il n'y a pas d'âge pour acheter et porter une arme, la législation change selon l'Etat (certains exigent le remplissage d'un formulaire puis la vérification sur les antécédents judiciaires et psychiatriques) et le lieu d'achat (les foires aux armes ne sont pas soumises aux vérifications du client). Une aberration que dénoncent les avocats pour l'abolition du second amendement.

 

Face à eux se dresse un adversaire de taille, un poids lourd dans la défense du port et de la vente des armes : la National Rifle Association.

 

La NRA est une association de défense des droits civiques fondée en 1871 visant à promouvoir le port et l'emploi des armes à feu. Pour eux, la logique est la suivante : il faut que chaque citoyen puisse se défendre face à un agresseur. La police n'arrivera pas toujours à temps. Il est de votre devoir de défendre vos biens, votre habitation et votre famille. Votre agresseur sera toujours armé, soyez-le aussi et tirez pour le neutraliser. Pour l'association, vous êtes un milicien 24 heures sur 24 et 7 jours du 7. Sauf que cette philosophie ne cadre pas avec la réalité. La NRA ne tient pas compte de la peur et de l'objection de conscience. Lorsqu'une fusillade éclate, l'instinct de survie passe par la fuite vers un lieu sécurisé plutôt le risque de se prendre une balle ou de tuer un innocent en ripostant. Certains citoyens considèrent que verser le sang est un blasphème, même pour se protéger.

 

Est-ce une interprétation correcte du second amendement? Pas selon les Pères fondateurs, possible selon la tournure. Ceux qui ont écrit le texte parlait de la défense territoriale nationale, c'est-a-dire lorsque les Etats-Unis sont attaqués par un ennemi extérieur. La NRA peut le détourner en disant que la défense de l'Etat libre passe par celle des citoyens, l'ennemi peut venir de l'intérieur et revêtir différentes formes (déséquilibrés, terroristes, jeunes voulant s'amuser, bandes organisées, trafiquants, cambrioleurs, etc.). Retenez bien que chaque mot, chaque virgule, chaque point, chaque emploi du temps ont toute leur importance. Le moindre détail peut changer le sens d'un texte juridique.

 

Pourtant, certains citoyens respectent cet amendement en formant des milices chargées de surveiller la localité. Là, nous ne pouvons rien leur dire car ils défendent le territoire.

 

In jobs and money, we trust

 

Le problème n'est pas seulement juridique ou idéologique, elle est aussi économique. La NRA est un puissant lobby exerçant une influence sur les élus politiques. L'argent est le nerf de la guerre, cela s'applique aussi pour les élections. Une loi veut restreindre la vente des armes? Glissez un billet ou un chèque dans la poche d'un député, vous le contrôlerez. Faites de même avec des dizaines, vous contrôlerez le Congrès. Ce n'est pas de la corruption, cela s'appelle du lobbying.

 

La défense du droit n'est pas le seul enjeu. Dans une société où le gouvernement se préoccupe du taux de chômage, pourquoi risquer de provoquer des faillites et des licenciements massifs dans un marché qui pèse énormément sur le PIB? De fermer des armureries situées à chaque coin de rue? De sacrifier une industrie dont les exportations sont importantes? Non, ce serait prendre un risque économique et social de s'attaquer à un marché florissant. Ajoutez à cela les produits dérivés, les magazines, les stands de tir, les écoles de tir, les lieux de vacances pour tirer entre amis (et pas se tirer entre amis comme certains le suggéreraient).

 

La liberté de porter des armes est tellement bien ancrée dans l'esprit collectif qu'il est quasi impossible de s'en défaire. Allez dire aux Belges de ne plus manger de frites, ce ne sera pas du ketchup qui sortira de votre nez. Au contraire, l'industrie de l'armement mise sur la famille, une valeur importante aux Etats-Unis. Pour cela, il existe plusieurs modèles : les armes de guerre, les traditionnelles, les classiques roses à l'effigie d'Hello Kitty (non, je ne plaisante pas! Ca existe réellement!), les fusils pour les enfants de 4 ans (je suis encore sérieux, ces armes tirent à balle réelle!!) et autres moyens de se défouler sur des cibles (inertes, je l'espère).

 

Armer pour vivre en sécurité?

 

Ce ne sera pas pour les années à venir que la législation changera, bien au contraire, lorsque Trump annonça le désir d'abréger toute loi restrictive.

En attendant, la situation aux Etats-Unis n'évolue guère. Des fusillades peuvent éclater à tout moment, le second amendement continue d'être dépouillé de sa substance pour ne garder que la partie intéressante, les lobbies maintiennent leur influence, les accidents se succèdent. Cela aboutit à un paradoxe : la sécurité passe par des armes qui génèrent de l'insécurité.

 

Ce n'est pas tant le port des armes qui pose problème, c'est leur utilisation. Un bon père de famille sait quand il doit garder son fusil rangé, à condition qu'il ne cède pas à la colère sous peine qu'un drame familial pourrait se terminer ... dramatiquement.

 

Les Etats-Unis ne sont pas le seul pays à autoriser la vente des armes, leur spécificité tient à la facilité de l'acquisition en raison d'un amendement au pouvoir constitutionnel. Dans beaucoup de pays, il faut une autorisation, un permis et une justification pour en détenir une, comme être chasseur ou membre d'un club de tir.

Ce qui est étonnant est le nombre de tués par armes à feu dans le monde. D'après un graphique de l'UNODC, les Etats-Unis sont loin devant la Suisse, second pays développé dont les armes sont présentes chez le foyer familial en raison du service militaire où la recrue peut ramener son fusil chez lui.

 

Interdire totalement les armes à feu résoudra-t-elle les problèmes? Pas tout mais cela permettra néanmoins de réduire les dégâts causés par celles-ci. Cependant, la lecture minutieuse du second amendement sous-entendrait que seuls les miliciens auraient le droit d'en porter. Cet article est dépassé car la milice est inutile, la police et les services d'intervention ont pris le relais.

 

Vous comprenez à présent pourquoi il est difficile de régler ce problème. Tant que le courage politique ne sera pas présent, que les lobbies continueront d'exercer leur influence à travers la politique de la peur et le lobbying auprès des élus, que l'industrie maintiendra sa clientèle grâce aux produits familiaux, que le second amendement continuera d'être utilisé à moitié et surtout que les mentalités n'évolueront pas, ce ne sera pas demain que le citoyen étasunien passera l'arme à gauche.

 

Articles utilisés

 

http://www.revueargument.ca/article/2016-06-17/674-pourquoi-le-deuxieme-amendement-de-la-constitution-americaine-est-il-un-amendement.html

http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20040225.OBS4877/comment-modifier-la-constitution-americaine.html

https://home.nra.org/about-the-nra/

http://www.levif.be/actualite/international/homicides-par-armes-a-feu-la-belgique-quatrieme-des-pays-developpes/article-normal-401729.html

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