Les grands accords de marché ne marchent pas pour tous.

Source : Le Monde
Source : Le Monde

Argent, bénéfice, croissance, emploi. Non, ce n'est pas à une réunion dans les bureaux d'une grande multinationale que vous assistez, c'est dans les grandes salles de la Commission européenne où ministres et chefs d'Etat discutent sur de gros dossiers : les accords de libre-échange.

 

Qu'est-ce donc? Pour résumer, ce sont des traités économiques permettant de favoriser les liens commerciaux entre l'UE et un grand pays en supprimant les éléments gênants. Gênants sont plutôt les accords car leur adoption auront des conséquences irréversibles pour les pays-signataires. Depuis quelques années, ils font l'actualité avec des positions partagées et très antagonistes : les défenseurs parlent de la corne d'abondance qui fera pleuvoir des milliards et des milliards, les détracteurs mettent l'accent sur le sacrifice des citoyens. Qui a raison? Difficile à dire, il y a du vrai dans les deux camps et qui dit vrai dit faux aussi.

 

Pourtant, des accords de libre-échange existent déjà avec l'UE. Pourquoi donc ce tapage médiatique? Il ne s'agit plus d'anciennes colonies d'Afrique ou d'Asie pour permettre leur développement économique. Non, le morceau est beaucoup plus gros lorsque ce sont deux mastodontes économiques qui souhaitent pénétrer le marché européen en profondeur (pas d'arrière pensée obscène s'il vous plait, chers détracteurs) : le Canada et les Etats-Unis.

 

CETAssez dur à avaler

 

Le CETA, vous en avez beaucoup entendu parler ces derniers temps. Il s'agit de l'acronyme anglais de Comprehensive Economic and Trade Agreement pour simplement signifier l'accord de libre-échange entre l'UE et le Canada. Le principe est simple : pour favoriser les échanges commerciaux entre les deux partenaires, ceux-ci s'engagent à supprimer toutes mesures limitant et pouvant limiter les bénéfices à venir. Donc win-win car chacun gagnera plus.

 

Sauf que la suppression en question ne touche pas seulement les droits de douane mais aussi des normes pour protéger l'Etat et le citoyen. C'est là le problème : les bénéfices ne pouvant apparaître par magie, il faut forcément sacrifier quelque chose sur l'autel de la rentabilité. Sacrifice, un mot que le contribuable connait bien lorsque son gouvernement parle d'austérité, coupe budgétaire, hausse d'impôt. Le CETA, c'est pareil.

 

Par exemple, les normes non-tarifaires considérées comme entraves au commerce. Cela comprend des mesures visant à protéger l'environnement, la santé et, plus inquiétant, le social. Encore un beau paradoxe : comment l'UE pourrait-elle se targuer d'être l'exemple à suivre pour défendre la nature et le développement socio-économique si elle accepte de signer un accord qui va à l'encontre des mesures existantes permettant d'accomplir les objectifs cités?

 

Un autre exemple qui fâche : la libéralisation de certains services peu soumis au marché et à la concurrence internationale incluant ... les services publics, déjà mis à mal avec la formation du marché économique européen.

 

Et enfin l'argument phare des anti : le tribunal d'arbitrage permettant aux sociétés de porter plainte contre les Etats accusés de nuire à leur activité économique en raison des lois et des normes en place. Une épée dans le cœur de la démocratie selon les détracteurs.

 

Le citoyen normal se le demande : pourquoi un Etat accepterait-il de sacrifier les mesures visant à protéger ses citoyens contre les produits pouvant présenter un danger pour la santé et/ou l'environnement, ainsi qu'une partie de sa souveraineté face aux multinationales? Les retombées économiques. Le seul argument des défenseurs est l'économie qui fera des miracles car plus d'argent => plus de richesses => plus d'emploi + meilleurs salaires.

 

Sauf qu'englober tous les autres arguments avec l'économie est trompeur. Il y aura des perdants dans cet accord. La concurrence deviendra plus rude et ceux qui ne pourront pas tenir disparaîtront, cela fera déjà des emplois en moins. Le contre-argument est encore économique : il retrouvera vite un travail car la croissance en créera. C'est faux. C'est le désir des directeurs et la conjoncture économique qui créent de l'emploi.

 

Et gagner plus d'argent sera-t-il le cadeau pour tout le monde? Difficile à dire. Il existe toujours une différence entre les prévisions des experts et la réalité. Les lois économiques ne sont pas aussi solides que celles de la physique ou de la chimie. Certaines sont dépassées pour correspondre au monde actuel. Les économistes ne vous le diront pas, ils sont persuadés qu'ils détiennent le savoir absolu, les gourous de la finance comme ils aiment se faire appeler.

 

Tous les Etats-membres de l'UE semblent prêts à signer cet accord fortement critiqué par la population. Tous? Non, un seul ne peut pas pour l'instant : la Belgique. En raison de sa structure fédérale, toutes les entités fédérées doivent donner leur aval par un vote de leur parlement. La Wallonie, dirigée par le chef Pôl Magnettix, oppose son veto. Un village dirigé par les socialistes résiste à l'envahisseur capitaliste selon les détracteurs. Le refus n'est pas un rejet mais une invitation à renégocier sur des mesures contraignantes : la protection des agriculteurs européens jugée insuffisante par rapport à leurs homologues canadiens, le tribunal d'arbitrage trop favorable aux multinationales et la possible suppression des normes de protection.

 

Bien entendu, cette opposition agace le Canada et les chefs des institutions européennes mais que voulez-vous, c'est la démocratie. D'ailleurs, l'UE n'est-elle pas aussi l'organisation internationale qui la défend dans le monde?

 

Toute Transaction Indument Perçue par les Etats-Unis

 

L'enjeu est d'autant plus important que le CETA est perçu comme l'antichambre pour l'aboutissement d'un autre accord de libre-échange de plus grande envergure : le TTIP, Transatlantic Trade and Investment Partnership, est l'accord à conclure entre l'UE et les Etats-Unis, première économie mondiale. Rien que ça.

Ici, mêmes arguments : plus de profit. Pour les détracteurs, c'est pareil : le citoyen est le dindon de la farce.

 

Sauf que le problème prend davantage d'ampleur en raison des normes totalement différentes et le poids de la politique étrangère étasunienne dans celle de l'UE.

Alors que les pays européens pratiquent le principe de précaution où le risque sanitaire passe avant le profit, les Etats-Unis appliquent l'inverse. Le tribunal d'arbitrage devra trancher en cas de conflit de normes. La question qui fait peur est : qui sera le gagnant? Les industries et multinationales européennes vont-elles profiter de l'abaissement des mesures pour se mettre à balayer d'un revers de la main tout ce qui permet de protéger la santé et l'environnement. Pas automatiquement, cela s'effectuera selon le désir de la direction et du marché internationale. Le risque est là, les citoyens européens ne veulent pas retrouver dans leurs rayons du bœuf aux hormones (dont l'UE paie une amende annuelle aux Etats-Unis suite à une condamnation de l'OMC) ni du poulet lavé avec des produits chimiques. Certes ils pourront choisir, jusqu'au jour où les lois sur la transparence des produits se feront attaquées par ce même tribunal.

 

Quant à la domination des Etats-Unis dans les affaires européennes, cette argument n'est pas totalement avérée. Les Etats-membres conservent leur politique étrangère (et leurs intérêts nationaux) donc parler d'une politique étrangère européenne est compliquée. Il ne faut pas non plus assimiler TTIP et OTAN, le traité ne prévoit pas de fusion ni de rapprochement formel, juste de meilleures relations entre partenaires sur base économique.

 

Accords de libre-échange = accords non démocratiques ?

 

Les négociations secrètes du TTIP, la signature du CETA sans consultation populaire et l'opposition de la Wallonie relance le débat de la démocratie. Des citoyens se mobilisent car ils ont conscience de l'importance de tels accords dans leur vie. Les normes vont changer, de nouveaux produits vont arriver, des entreprises pourront défier les politiques (quoique c'est déjà le cas lors des licenciements massifs).

 

La position wallonne témoigne de l'inquiétude populaire : comment la population pourrait-elle accepter un accord sans avoir son mot à dire, sans avoir la possibilité de contester les points négatifs ?

 

Ce que fait la Wallonie est légale car la loi belge prévoit l'accord de tous les parlements pour la signature donc sur ce point, la Région ne peut pas être dans l'illégalité. Une telle décision fâche à tel point qu'à l'heure d'écrire ces lignes, le Conseil européen a déposé un ultimatum à la Belgique pour signer l'accord. Vous vous imaginez : sanctionner un Etat-membre via une mesure coercitive parce qu'une de ses entités utilise un mécanisme légal pour demander de nouvelles négociations pour adopter des mesures plus respectueuses des citoyens. L'UE ne doit pas s'étonner de l'image négative qu'elle donne.

 

Cette menace tombe mal, le terme "ultimatum" est très mal choisi parce qu'il implique une confrontation entre une position forte face à une position plus faible. Même si le droit européen est supérieur au droit national, les Etats-membres disposent encore de leur politique intérieure. Ce qui est d'autant plus choquant, c'est que ce n'est pas la première fois qu'un Etat-membre s'oppose à la signature d'un traité. Le Danemark a refusé la signature du traité de Maastricht et l'Irlande celle de Lisbonne. Ont-ils été condamnés? Non, des négociations ont eu lieu et les deux traités sont passés. Pourquoi la Belgique recevrait-elle un traitement plus affligeant? L'économie est-elle plus importante que la vie des citoyens européens? A lire le site de la Commission européenne sur le CETA, ils ne devraient pas s'inquiéter. Fait troublant : tous les points sont économiques sauf le dernier, ajouté comme pour rassurer les citoyens mais suscite quand même le doute. Exemple :

 

L'AECG garantit que les bénéfices économiques qu'il générera permettront de renforcer, et non de saper, la démocratie, la santé et la sécurité des consommateurs, les droits sociaux et des travailleurs, ainsi que l'environnement. La Commission européenne a publié son mandat de négociation pour l'AECG en décembre 2015.

 

Qu'est ce que je vous disais : pas d'inquiétude, l'économie va tout arranger. Pourtant, d'après un article du Monde diplomatique, les prévisions économiques à long-terme sont négatives : baisse des salaire, diminution du PIB, perte d'emplois, affaiblissement de la coopération européenne au profit de la concurrence internationale. Les seuls gagnants seraient les investisseurs.

 

L'AECG contient des engagements clairs à respecter les normes strictes de l'UE et à ne pas les sacrifier sur l'autel de la rentabilité commerciale. Les deux parties s'engagent également à coopérer avec les pays en développement pour les aider à relever leurs propres normes.

 

Ne pas sacrifier sur l'autel de la rentabilité commerciale. Et la suppression des normes non-tarifaires jugées contraignantes citées plus haut, c'est quoi alors si ce n'est pas un sacrifice?

 

Si ces accords sont parfaits et sans incidence, pourquoi le peuple s'inquiète-il ? D'autant que le TTIP et le CETA ne sont pas les seuls à susciter l'inquiétude. L'accord de libre-échange avec l'Ukraine a aussi soulevé une masse d'opposants, notamment en raison de l'agriculture où les normes ukrainiennes sont plus souples, amenant le risque d'une concurrence déloyale.

 

L'UE montre une fois de plus ses contradictions : défense de la démocratie contre intérêts économique, organisation proche du citoyen contre organisation technocrate défendant le modèle néolibéral défaillant (surtout avec la crise de 2008), défense de l'intérêt populaire contre défense d'un accord dont seuls les multinationales, les économistes et les revues économiques en font la louange.

 

Elle aurait pu saisir la chance de se rapprocher de la base en l'invitant à participer au débat, elle ne l'a pas fait. Elle aurait aussi pu se questionner sur la situation socio-économique et les conséquences à venir selon différents modèles, elle ne l'a pas fait. Elle aurait enfin pu réfléchir autrement que simplement penser économie, elle ne l'a pas fait. Et faudra pas s'étonner que les électeurs n'auront pas envie d'aller voter lors des élections européennes.

 

Nous sommes tous d'accord sur un point : ce n'est pas demain que l'UE se trouvera dans le cœur des Européens s'ils retrouvent des produits canadiens et étasuniens douteux dans leur estomac.

 

Articles utilisés :

 

http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2016-10-14-Rejet-du-Ceta-accroc-libre-echange

http://www.courrierinternational.com/article/economie-la-wallonie-t-elle-le-droit-de-bloquer-le-ceta

http://ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/ceta/index_fr.htm

 

 

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